La classification des systèmes

Dans un récent billet sur le jeu de la vie, j'ai présenté les 4 types d'automates cellulaires identifiés par Stephen Wolfram (voir aussi le dossier Wolfram sur Automates Intelligents) :
  • Classe I : évolution vers un état fixe et homogène (par exemple la grille complètement vierge ou encore complètement couverte de pions) (dynamiques locales ordonnées de façon homogène)
  • Classe II : évolution vers des structures stables ou périodiques (il peut y avoir des structures locales qui oscillent entre deux états différents, insérées dans ne structure globalement stable) (dynamiques locales ordonnées de façon cyclique)
  • Classe III : évolution vers une succession de configurations arbitraires : toutes les générations sont localement différentes mais globalement et statistiquement semblables (par exemple la proportion de cellules à l'état 1) (dynamiques locales désordonnées et chaotiques)
  • Classe IV : évolution vers un système complexe ou des structures émergent (comme dans le jeu de la vie ou on trouve par exemple des planneurs et des possibilités de simuler une machine de Turing) (dynamiques complexes à mi-chemin entre les dynamiques ordonnées et désordonnées)

Extension au-delà des automates cellulaires simples

Mais existe-t-il d'autres cas de figure ? Stephen Wolfram a étudié de façon exaustive les 256 cas possibles d'automates cellulaires à une dimension et deux états. Il existe cependant de nombreuses façon d'étendre le champ d'étude :
  • Augmentation du nombre de dimensions. Les automates cellulaires à plus de deux dimensions peuvent voir apparaitre des oscillateurs à un niveau intermédiaire de taille (niveau mézoscopique) qui ouvrent la porte à de nouvelles classes d'automates cellulaires.
  • Augmentation du nombre d'états de chaque automate. Au lieu d’avoir deux états 0 ou 1 - vivant ou mort, on définit un plus grand nombre d’états (voir par exemple la simulation en ligne d’un jeu de la vie à nombre d’états variables proposé par Denis van Waerebeke en commentaire de mon billet sur le jeu de la vie)
  • Application à des réseaux irréguliers (graphes aléatoires ou réseaux sociaux plutôt qu'automates cellulaires)
  • Application à des réseaux continus (valeurs continues pour les états et/ou valeurs continues de temps)
  • Introduction de bruit dans les règles, c'est à dire de variables aléatoires qui changent légèrement les règles (voir par exemple le modèle darwinien en embryogénèse de Jean-Jacques Kupice).
Hugues Chaté, physicien au CEA s'est intéressé aux systèmes dans des dimensions supérieures à 2. Ce billet est basé sur son récent article de vulgarisation dans Sciences et Avenir1.

L'automate de Hemmingsson

Jan Hemmingson a proposé une règle dans un système à trois dimension. Chaque élément est donc entouré de 6 voisins et peut prendre un des deux états 0 ou 1. L'état d'un élement à un étape donnée dépend de la somme S des valeurs de ses voisins et de lui-même à l'étape précédente (Celle-ci est donc comprise entre 0 et 7) :
  • Si la somme des valeurs de lui-même et de ses voisins à l'étape précédente vaut entre 0 et 5 alors la case prend la valeur "1"
  • Si la somme des valeurs de lui-même et de ses voisins à l'étape précédente vaut 6 ou 7 alors la case prend la valeur "0"
Dans ce cas les éléments semblent desordonnés comme dans un automate cellulaire de classe III. Mais au lieu de regarder ce qui se passe au niveau local, regardons comment évoluent des valeurs globales : par exemple la proportion de cases valant 1 par rapport au nombre total de cases.

Dans tous les automates cellulaires décrits par Wolfram, les valeurs globales convergent vers une valeur qui reste ensuite constante. Mais dans le cas de la règle d'Hemmingson, cette valeur évolue de façon quasi-périodique (c'est à dire que cette variable globale évolue de façon cyclique mais que la période avec laquelle elle le fait est un nombre irrationnel, si bien que l'on ne retombe jamais exactement sur les mêmes valeurs). Cette fois, en plus de voir apparaître des phénomènes périodiques, chaotiques ou complexes au niveau des éléments locaux, c'est au niveau global que le système devient périodique (ou quasi périodique).

Les automates cellulaires ont permis de montrer qu'il était possible de faire émerger des phénomènes locaux périodiques, chaotiques et même complexes à partir de règles simples. Peut-on imaginer qu'elles puissent également faire émerger ces type de phénomènes (y compris de la complexité) au niveau global ?

Des oscillateurs qui se synchronisent partiellement

A y regarder de plus près, on voit que ces phénomènes globaux sont dus à des systèmes périodiques qui apparaissent non plus au niveau local mais à un niveau plus large (appelé mezoscopique). Au niveau local on ne pense voir que désordre mais si on regarde à une échelle plus large (comme avec un "zoom arrière") alors des oscillateurs apparaissent.

On sait depuis les travaux de Huygens au XVIIème siècle que les oscillateurs peuvent interagir les uns sur les autres même lorsque ce qui fait le couplage est très faible. Ainsi des horloges sur un même parquet qui peut transmettre même faiblement leur vibration se synchronisent et finissent par vibrer à l'unisson. On connait depuis des couplages avec des systèmes moins réguliers qu'un oscillateur pur (en particulier grâce aux travaux de Pikovsky et de son équipe2.

Les oscillateurs générés par la règle de Hemmingsson ne sont pas complètement réguliers. Ils sont bruités. Ils se couplent cependant entre eux pour produire des variations quasi-périodiques dans les variables globales.

Des sytèmes en réseau, aléatoires et/ou continus 

On observe que plus la dimension de l’espace et/ou le nombre de voisins en jeu sont grands et plus des oscillations collectives apparaissent. Celles-ci sont très robustes. Si au lieu d'appliquer les règles strictes proposées par Hemmingsson, on fait varier légèrement les règles de façon aléatoire, les oscillations persistent. C'est également le cas si au lieu d'avoir un système régulier, on utilise un réseau où les liens avec les voisins sont variés.

Mieux encore, le groupe de Yoshiki Kuramoto a montré que lorsque le temps était continu (et non plus séparé en étapes comme dans les automates cellulaires classiques), alors il était possible de voir apparaitre des comportement des variables globales non plus homogènes ou périodiques mais chaotiques.

Une nouvelle classification ?

Si Wolfram a classé les automates cellulaires à deux états de dimension 1 en quatre classe suivant qu'ils évoluent vers une dynamique homogène, périodique, chaotique ou complexe. On peut remarquer qu'en étendant les possibilités à d'autres systèmes (plus grand nombre de dimensions, réseaux, systèmes continus), on peut observer des évolutions globales non seulement homogènes, mais également périodiques, chaotiques (et également complexe ?).

Il devient possible d'étendre la classification proposée par Wolfram. La combinatoire n'est sans doute pas de 16 possibilités (4 X 4) car il est difficile par exemple d'imaginer un système homogène au niveau local (tous les éléments gardent la même valeur) et périodique au niveau global. On peut cependant se demander s'il existe des systèmes complexes au niveau global et s'il est possible d'avoir par exemple des règles qui générent du complexe au niveau local et du périodique au niveau global ?

Le tableau suivant reprend la double classification des dynamiques locales et des phénomènes globaux. Il permet de prendre en compte des phénomènes plus sophistiqués que les automates cellulaires de faible dimension. Par exemple les réseaux neuronaux ou les réseaux sociaux. les 10 types proposés couvrent-ils cependant tous les cas de figure (par exemple pourrait-on avor besoin d'une classification tripple locale, mezoscopique, globale pour certains cas de systèmes ?).

 

Local
Global
homogène
périodique
complexe
chaotique
homogène
classe I
Classe II
Classe IV
Classe III
périodique
X
Classe II
?
dimension > 2
ex : Hemmingsson
complexe
X
X
?
?
chaotique
X
X
X
temps continu, travaux
de Yoshiki Kuramoto

Classification des systèmes

Il reste à faire une science des différents types de systèmes complexes valable pour toutes les dimensions, tous les nombres d'états, les réseaux réguliers ou irréguliers, continus ou discontinus, à règles déterminées ou variables. Peut être est-il possible d'arriver à une classification exaustive comme çà a été le cas dans l'étude des symétries dans toutes les dimension avec les groupes de Lie ?


[1] Une grande partie de ce texte est un résumé de Hugues Chaté, le chaos collectif, in Sciences et Avenir n°143 sur "l’énigme de l’émergence", juillet/août 2005. Voir aussi :
Hugues Chaté, Emergence of Collective Behavior in Large Dynamical Systems, International of Modern Physics B, 12 (3), 1998
[2] Arkady Pikovsky, Michel Rosenblum, Jürgen Kurths, Synchronization - A Universal Concept in Nonlinear Sciences, Cambridge University Press, 2001

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