La calligraphie est considérée comme un art sacré qui rassemble la philosophie, la poésie, la musique. S’appuyant sur le taoïsme, elle permet de révéler ce qui était déjà existant mais invisible sur la feuille de papier vide. Le caractère calligraphié dispose d’une vie propre et ses traits montrent l’énergie mise par l’artiste. La calligraphie est un processus de perfectionnement moral et culturel de soi-même. C’est le processus même d’être serein.

Le samedi 15 octobre 2005, la médiathèque de Vert le Grand dans l’Essonne a organisé une conférence sur la calligraphie et une initiation avec maître Shi Bo, écrivain, poète et calligraphe. Il fut directeur d’une université de Pékin et vice-président de l’Académie nationale de calligraphie avant son départ de Chine en 1990.

Les caractères chinois

Maître Shi BoIl existe plus de 50000 caractères chinois. 3000 à 5000 d’entre eux sont les plus fréquemment utilisés (ce qui correspond au nombre de mots les plus employés en français ou dans une autre langue). Ainsi, quelqu’un qui restera 1 an à Pékin acquièrera facilement un vocabulaire oral de 2000 à 3000 mots, mais il faut connaître environ 5000 caractères pour passer le bac. Shi Bo pour sa part connaît environ 30000 caractères, mais cela nécessite de tout le temps lire certains caractères peu utilisés et presque morts.

Un idéogramme chinois représente un mot complet. Il est constitué uniquement de 8 types de traits. Se comprendre avec un locuteur chinois n’est pas toujours aisé, les prononciations variant d’un lieu à l’autre. Quant à l’écriture il en existe deux :
  • Les caractères classiques utilisés sur l’île de Taiwan et par beaucoup des chinois installés à l’étranger
  • Les caractères simplifiés qui sont apparus en Chine continentale à partir de 1956.Le gouvernement central a publié 3 listes de caractères simplifiés, soit au total environ 3500 mots.
Les calligraphes n’aiment pas les caractères simplifiés car ils perdent l’image du mot représenté.

L’idéogramme du cheval [Ma] Classique : 馬 / Simplifié : 马

La calligraphie

La calligraphie et l’écriture sont différentes. Beaucoup de gens savent écrire alors que la calligraphie est considérée comme un art sacré que très peu de chinois savent maîtriser. La calligraphie est même considérée comme l’aboutissement le plus sophistiqué de l’art chinois car elle contient la philosophie, la musique (une musique muette avec un rythme), la poésie, etc.

Le calligraphe dispose de 4 outils. On parle des 4 trésors dans le cabinet de lettrés :
  • Le pinceau : il peut être en poil de loup ou de fouine, de lièvre ou de lapin et subit un traitement spécial. Les plus chers sont constitués avec les cheveux des nouveau-nés coupés lors de la cérémonie du 100ème jour. Le calligraphe choisit un atelier de fabrication de pinceau pour ses spécificités. Ainsi maître Shi Bo s’approvisionne toujours à l’atelier dépendant de la cité interdite à Pékin.
  • La pierre à encre : elle permet de conserver l’encre longtemps.
  • Le bâton à encre : il permet de fabriquer l’encre dans la pierre. Après avoir mis un peu d’eau, le calligraphe tourne 500 fois le bâton dans la pierre en le suivant des yeux. Une fois cela réalisé, il dispose de son encre mais également de la concentration mentale nécessaire pour son art. Chaque calligraphe a son secret d’encre et va lui-même rechercher ses pigments ou minéraux dans la nature pour constituer ses bâtons à encre de diverses couleurs.
  • Le papier de riz : il s’agit de pâte de paille de riz, de roseau ou de bambou. Le calligraphe utilise également du papier classique moins cher. A Paris on en trouve aux éditions You-Feng (45 rue Monsieur le Prince, 75006 Paris, Tel : 01 43 25 89 98) ou encore à la librairie Phénix (72 Bd Sébastopol 75003 Paris, Tel : 01 42 72 70 31)
La calligraphie est enseignée à raison de trois heures par semaine dans les écoles. Après les cours, certains vont également dans des écoles spécialisées. Elle est également utilisée en thérapie contre la migraine, le stress, les troubles digestifs… La calligraphothérapie est prisée chez les personnes à partir de 45 ans (particulièrement les femmes) qui sont déjà pour beaucoup à la retraite à cet âge en Chine. Une à deux heures de pratique quotidienne les aident à réguler la circulation de l’énergie (le Qi).

On retrouve l’art de la calligraphie dans les autres pays dont les caractères sont issus du chinois (Japon, Corée, Vietnam). Il existe également une calligraphie arabe avec le calame fabriqué à partir de tiges de roseaux. L’enluminure occidentale est aussi une forme de calligraphie.

Si vous n’avez pas au moins vingt ans d’expérience, vous avez peu d’espoir d’être nommé calligraphe. Il existe une Académie Nationale de Peintres Calligraphes et des Académies provinciales et de district. Au niveau national, un jury composé de 21 personnalités choisit les nouveaux membres.

Le fond philosophique

La calligraphie est comme un cristal qui inclut les autres arts. Il permet de revenir à la source.

Il existe trois grandes composantes de la pensée chinoise (on parle des 3 perles sur la couronne ou des 3 piliers) :
  • Le confucianisme, qui est une théorie pour les dirigeants sur la fonction de l’état
  • Le taoïsme, basé sur le Yin et le Yang. Lao Tseu s’est inspiré du Yi-King (le livre des transformations).
  • Le bouddhisme, qui fut importé officiellement au IIIème siècle depuis l’Inde.
La calligraphie comme de nombreux autres domaines chinois (par exemple la médecine) s’appuie sur le taoïsme et sur la notion du Yin et du Yang.

« Le Tao engendre le Un. Le Un engendre le Deux. Le Deux engendre le Trois. Le Trois produit les Dix-mille-êtres (la totalité des êtres). Les Dix-mille-êtres s'adossent au Yin et embrassent le Yang et l'Harmonie naît au Qi (l’énergie) du Vide médian » Tao Te King

  • L’encre noire est Yin et représente la terre
  • Le papier de riz est yang et représente le ciel
Entre le Yin et le Yang - entre le ciel et la terre - se trouve le pinceau, le pont qui communique.

Au départ se trouve le vide (le « Kong » en confucianisme ou le « Wu » en taoïsme). Le papier blanc est un univers vide. Dans la conception taoïste, le plus vide est toujours le plus plein. Le vide est plein de « possibles » non encore réalisés. C’est la notion du visible et de l’invisible.

Le calligraphe est donc là pour faire ressortir avec son pinceau ce qui existait déjà mais qui était invisible. La calligraphie est ainsi une technique pour faire apparaître l’harmonie du Yin et du Yang plutôt qu’une technique du pinceau. Il faut être serein pour faire apparaître le Yin et le Yang équilibrés.

Le caractère calligraphié


Plein de perspective, avenir radieu
On regarde le caractère calligraphié comme une vie.
  • Il dispose d’un corps : la partie gauche est Yang, la droite est Yin, le haut représente le ciel et le bas la terre. La calligraphie doit être équilibrée et ne pas aller trop près du bord. Ainsi, par exemple, on dit aux enfants : « n’allez pas jusqu’au ciel, laissez l’énergie circuler »
  • Il dispose d’un cœur, représenté par la ligne centrale qui sépare la calligraphie en deux. Ce cœur « bat et parle »
  • L’énergie de l’auteur est transmise à la calligraphie dans les traits. Lorsqu’on n’est pas poète, on n’a pas le bon rythme et on ne peut pas faire de bonnes calligraphies.
Dans une calligraphie terminée réalisée par un maître, on trouve des tampons rouges qui servent à équilibrer certains vides. Ils peuvent représenter le nom de l’auteur ou un mot en harmonie avec la calligraphie.

Les poèmes comme les calligraphies utilisent beaucoup d’images. Ainsi, on retrouve souvent le mot « printemps » (春 chūn) lorsque l’on parle de l’amour, le mot « solitaire » pour indiquer la mélancolie (凄 qī) ou encore « vent et pluie » pour parler des maisons closes qui en Chine sont bien plus considérées qu’en occident (les femmes y font de la poésie et de la musique comme les Geishas au Japon).

On juge une calligraphie sur sa musique, son sens poétique et son harmonie du Yin et du Yang (pour un texte par exemple, il faut que rien ne « frappe aux yeux »).

Le Caoshu (herbe folle)

Progressivement, la calligraphie est devenue une forme de décoration pour les mandarins, perdant une part de son caractère sacré et de sa fonction utilitaire. Les intellectuels chinois, rejetant ce système, s’éloignèrent du monde et devinrent moines taoïstes.

Ils quittèrent toutes les règles pour former leur propre style. Uniquement guidés par leur plaisir, ils firent des calligraphies avec des traits dans tous les sens pour atteindre le summum de l’harmonie du Yin et du Yang. Cette forme appelée caoshu (l’herbe folle) est plus cursive et plus dure à réaliser que les autres formes (kaishu et xingshu).

Chaque caractère dispose de son sens propre et de son sens poétique.

Réaliser une calligraphie

Au début, l’artiste cherche à imiter le travail des calligraphes célèbres. Contrairement au coté péjoratif donné en occident, la copie est très valorisée en Chine. Une fois qu’il a imité deux ou trois grands calligraphes, il souhaite avoir son propre style. Shi Bo a ainsi créé le style connu sous le nom de « bambou gracieux ».

Il n’y a pas de gaucher chez les calligraphes. Tout se fait avec la main droite car les caractères ont été créés pour être dessinés de la main droite.

Pour effectuer une calligraphie il faut oublier son corps (sinon la main tremble). Pour obtenir un état de sérénité, on utilise la respiration taoïste et le voyage mental.

Les grands maîtres taoïstes distinguent quatre types de respiration :
  1. Notre respiration quotidienne. Elle est considérée comme très rudimentaire.
  2. La respiration abdominale : les poumons ne bougent plus. La respiration se fait au niveau du « Dan Tian », un point particulièrement important situé trois doigts au-dessous du nombril.
  3. La respiration sexuelle qui s’effectue grâce aux mouvements de l’organe du sexe
  4. La respiration embryonnaire qui consiste à ralentir la respiration pour rendre l’être aussi indépendant du milieu que l’est en principe l’embryon pour connaître le Tout.
Le voyage mental se fait devant un tableau (dans l’explication suivante, on prend l’exemple d’une montagne) ou un simple mur blanc :
  • On commence par une respiration abdominale
  • On cherche ensuite à entendre les oiseaux ou une chute d’eau
  • On cherche à sentir l’odeur des fleurs sauvages
  • On cherche à sentir le vent sur sa peau

Maître Shi Bo et Thierry Sobrecases
Le voyage mental est une méditation très profonde où on n’oublie pas son corps (contrairement au dédoublement). Il permet de devenir la plus petite particule fusion du Yin et du Yang pour faire un avec l’univers.

Références

Quelques films parlant de la calligraphie :

Quelques livres de maître Shi Bo sur la calligraphie

Collection "encres de chine" :
  • La calligraphie chinoise – manuel élémentaire 书法入门
  • Mon premier cours chinois 汉语入门
  • Mes premiers proverbes chinois 中国成语入门

Pour contacter maître Shi Bo :

30 rue de la Sablière 75014 Paris France
Tél : 01 45 42 52 77 - E-mail : mrshibo @ hotmail.com
Merci à Maître Shi Bo, Thierry Sobrecases et Emmanuel Josse
pour leur relecture attentive.
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