Deuxième difficulté : l’internet coupé en morceauxDiscussions.png


Comme nous l’avons vu, il existe des outils “pull” vers lesquels l’utilisateur doit décider d’aller pour les utiliser (une page Web, un forum…) et des outils “push” qui amènent l’information directement à un endroit que consulte régulièrement l’utilisateur. ce sont ces derniers qui vont permettre d’atteindre, au-delà des proactifs, les réactifs et aussi les observateurs.


Si on fait abstraction des outils de communication push “classiques”, en dehors du net (boite aux lettres physique, répondeur téléphonique), il existe plusieurs outils push sur l’internet :

  • la messagerie électronique (mail) qui existe depuis les débuts de l’internet ;

  • La messagerie instantannée de Facebook (attention, tout le monde ne consulte pas régulièrement tous les groupes et pages Facebook auquel il est abonné. Contrairement aux messages instantannés, il ne sont donc pas à considérer comme des outils “push” pour tous les utilisateurs) ;

  • Twitter, du moins les messages qui sont adressés à nous (@mon_nom) ou qui sont sur un thème donné que nous suivons particulièrement (avec les “hastags” du type #theme). Attention également, les messages twitters envoyés par les personnes auxquelles nous sommes abonnés sont nombreux et si nous ne regardons pas très régulièrement notre compte twitter, ils disparaissent de notre radar sans que nous les lisions ;

  • Pour les usages orientés vers les smartphones, il existe aussi des outils mais limités pour la taille du groupe (5 max pour Whatsapp, 15 pour Viber...) ou d’autres orientés plus vers la photo et la vidéo que la discussion (snapchat…)

  • Pour les entreprises, on peut considérer les messageries ou réseaux sociaux internes comme des outils push lorsque les employés sont obligés de les consulter (ce qui n’est pas toujours le cas…) ;


Cela fait beaucoup d’outils ! Et le drame est qu’ils ne sont pratiquement pas compatibles entre eux (le terme juste est “interopérables”). Hélas, pour les outils push l’internet est aujourd’hui cassé en morceaux (ce qui est moins vrai sur les outils pull, la très grande majorité des services pull passent par le Web). On peut bien sur recevoir une notification d’un message Facebook sur son mail, mais pour y répondre il faut “cliquer” sur le lien dans le message pour aller sur Facebook ce qui réduit très sensiblement le nombre de contributeurs par mail (et de plus l’inverse n’est pas vrai : on ne reçoit pas les messages mails comme “messages directs” sur Facebook…). Très peu de monde suit très régulièrement ses mails, Facebook ET Twitter (sans compter les outils pour smartphone comme whatsapp ou les autres outils tels que Google hangout, Skype…). Choisir un outil c’est souvent se couper d’une partie des personnes qui auraient pu participer à notre communauté...


Pour en savoir plus : les limites de Facebook pour la discussion dans un groupe


La messagerie instannée de Facebook permet de créer des groupes de discussion et même de leur donner un nom. Cependant, comme nous l’avons vu, dans un groupe nous avons plusieurs types d’activités. En particulier, la diffusion d’information peut également être faite avec des outils Facebook :

  • les pages Facebook, intégrables également dans un site pour ceux qui n’ont pas Facebook mais limitées aux “administrateurs” qui sont les seuls à pouvoir y poster des messages ;

  • les groupes Facebook où tous les membres peuvent publier mais qui sont non intégrable dans un site externe ;


L’idéal serait de coupler  la messagerie instantanée avec par exemple un groupe Facebook (bien que la communauté se limite alors à ceux qui ont Facebook). Hélas, Facebook ne permet actuellement de coupler la messagerie instantannée et un groupe que jusqu’à 50 membres. Comme nous l’avons vu, nous cherchons à créer des communautés avec au minimum 100 participants afin d’avoir une dynamique suffisante avec les proactifs et les réactifs. Dans notre cas, la seule solution consisterait à identifier régulièrement les nouveaux inscrits au groupe Facebook et les ajouter “à la main” dans le groupe sur la messagerie instantannée, ce qui ne va pas vraiment dans le sens de limiter le temps passé par les animateurs !


Par contre, pour les petits groupes projets, souvent limités à quelques personnes, la messagerie instannée de Facebook est bien adaptée... à condition que les membres du projet aient tous Facebook, et que le référent n’oublie pas de tenir régulièrement au courant le reste de la communauté de l’avancement du projet collectif...


La liste mail, la solution la moins mauvaise pour la discussion


La discussion entre deux rencontres est une activité importante pour la communauté car elle implique également les réactifs qui ne viennent pas aux réunions (ou qui en ont ratées certaines) et les observateurs. Contrairement à la diffusion d’information, elle permet des échanges directs entre les membres de la communauté. Elle est une marche d’escalier très utile dans le chemin vers l’implication entre le simple commentaire en réponse à une information donnée par les animateurs et la participation à des rencontres voire à des projets.


Pour ne pas perdre en route une partie de la communauté (ou du moins pour en perdre le moins possible), il nous faut envoyer directement les échanges (outils push) dans un endroit que lit régulièrement chaque utilisateur (tout le monde n’a pas Facebook ou Twitter ou ne les lit pas régulièrement…). La solution la moins pire reste le mail puisque pratiquement toute personne qui est sur internet dispose d’une adresse mail (bien que certains ne regarde plus régulièrement sa boite mail au bénéfice de… Facebook ou Twitter…). Mais le mail génère pour certains des peurs en particulier d’être inondé par trop de messages. Nous verrons dans la partie suivante comment traiter ce point.


Pour en savoir plus : appel aux développeurs !


L’idéal serait que chacun puisse participer à la même discussion depuis l’outil qu’il préfère (et donc celui qu’il lit le plus régulièrement). Facebook et Twitter disposent d’interfaces de programmation (APIs) mais sont propriétaires et relativement fermés. On pourrait rêver que ces outils deviennent interopérables ce qui est pourtant la base même de l’internet (étymologiquement “inter net”, un réseau de réseaux qui communiquent entre eux) mais cela ne semble pas l’intérêt des propriétaires de ces outils… du moins tant qu’ils disposent d’un nombre significatif d’utilisateurs “captifs” qu’ils peuvent monétiser pour se financer…


Je lance un défi aux développeurs : disposer d’un outil qui puisse avoir une adresse mail, un compte Facebook et un compte twitter et qui permette que ce qui est envoyé sur l’adresse mail (par exemple en provenance d’une liste mail) puisse être reçu dans un groupe de messagerie instantannée dans lequel est inscrit le compte Facebook et dans un tweet avec un hashtag donné pour former un échange collectif. Les autres cas de figure devant également être vrai : de Facebook vers mail et Twitter et de Twitter vers mail et Facebook.


Il s’agit d’une question difficile et qui de plus n’est pas dans la culture de nombreux développeurs qui sont avant tout des développeurs Web. Le résultat peut même être frustrant pour un développeur car il ne se traduira pas par une belle page Web mais plutôt par un outil d’interopérabilité qui a vocation a être le plus invisible possible... Mais c’est sans doute le “chaînon manquant” pour permettre de retrouver la véritable interopérabilité de l’internet sur une des marches d’escalier vers l’implication des membres de la communauté : la discussion en ligne !


Le mail a d’abord été conçu pour envoyer un message à une, deux ou plusieurs personnes. Pour un groupe il faut que naturellement tout le monde réponde à l’ensemble des destinataires. les listes de discussion mail répondent à ce besoin. Grâce à elles, il n’est pas besoin de savoir quelles sont toutes les personnes qui souhaitent être destinataires de la discussion (on a vite fait d’oublier certains surtout parmi les nouveaux arrivés…). Une liste de discussion permet aux membres de la communauté de s’inscrire (soit ceux qui s’inscrivent eux-mêmes, soit ceux qui sont inscrits par l’administrateur de la liste). Cette liste de discussion possède une adresse email : écrire à cette liste c’est écrire à toutes les personnes qui y sont inscrites. Suivant la façon dont est configurée la liste de discussion, les personnes qui répondent à un message sur la liste sont visibles de tous les inscrits (plutôt qu’ils soient reçus uniquement pour celui qui a envoyé le mail auquel ils ont répondus). Une liste de discussion permet donc une véritable discussion collective où tout le monde voit les messages de chacun. La majorité des outils de liste de discussion permettent de conserver des archives pour retrouver certains points de la discussion.


Exercice collectif : testez une liste de discussion


le fonctionnement d’une liste de discussion n’est pas compliqué pour les utilisateurs, mais le mieux est d’essayer !


Si vous n’êtes sur aucune liste, alors créez en une avec quelques amis autour de vous pour voir comment cela fonctionne. Vous pouvez utiliser pour cela des services gratuits du type  : https://groups.google.com/ ou https://login.yahoo.com/ (il vous faudra créer un compte Google ou Yahoo si vous n’en avez pas). Amusez vous à échanger entre vous pour voir comment çà marche...


Si vous souhaitez créer une véritable communauté avec sa liste mais aussi les différents aspects présentés dans ce document, rendez-vous dans la partie II “agir” qui vous montrera comment nous pouvons vous aider à le faire


Pour participer à une liste de discussion il faut donc être inscrit (par soi même ou dans certaines conditions par l’administrateur). C’est même sans doute le seul des outils où l’inscription est nécessaire (pour voir l’information sur un site, pour participer à des réunions en ligne, pour lire et même pour écrire sur des pages d’information partagée, il existe des outils qui ne nécessitent pas d’inscription) Si vous utilisez des outils de différentes provenances pour les différentes activités du groupe (information, rencontres, discussion, partage), il peut être nécessaire soit de faire en sorte de disposer d’une inscription unique pour tous , soit de n’imposer que l’inscription à l’outil de discussion (dans ce cas, les membres de votre communauté sont tout simplement ceux qui sont inscrits sur la liste de discussion). Il faut absolument éviter de demander aux membres de votre communauté de s’inscrire à plusieurs endroits. Sinon vous risquez fort de ne vous retrouver qu’avec les pro-actifs et quelques uns des plus réactifs et d’avoir perdu tous les autres !


Le nombre de mails et autres freins


Il existe deux principaux freins pour certaines personnes à utiliser les listes de discussion mails.


Le premier frein est de devoir lire les mails en plus de son compte Facebook ou Twitter. Comme nous l’avons vu c’est un véritable problème de scission de l’internet sur lequel il n’existe actuellement pas de solutions satisfaisantes. Si vous souhaitez n’exclure personne, vous ne pouvez pas obliger les membres potentiels de votre communauté à avoir un compte Facebook ou twitter (sauf dans le cas d’une petite communauté de personnes qui se connaissent et qui utilisent le même outil, mais nous parlons ici de grandes communautés pour les raisons exposées dans la partie “une communauté c’est quoi ?”). Vous devrez donc faire oeuvre de pédagogie pour que ceux qui sont plus réfractaires aux mails acceptent  de les utiliser dans le cadre de cette communauté (au moins pour un certain nombre d’entre eux).


Le deuxième frein est la crainte de se voir submerger par les mails. Il s’agit d’un problème sérieux mais pour lequel nous sommes moins démunis. Le nombre de mails “acceptables” venant de la communauté varie :

  • un par semaine maximum pour certains publics très réticents

  • un par jour en moyenne pour la plupart des personnes

  • plein de mails sont parfois acceptables pour certains groupes très militants (mais les communautés dont nous parlons intègrent également des non militants et qui ont souvent beaucoup d’autres activités)


Il existe un ensemble de stratégies permettant de gérer au mieux cette difficulté :

  1. inciter les utilisateurs à faire des mails courts et uniquement lorsque cela est nécessaire (éviter par exemple les mails du type “information bien reçue”…) ;

  2. inciter les porteurs de projets collectifs à échanger directement entre eux en dehors de la liste (mais sans oublier de présenter où ils en sont au reste de la communauté, une fois par mois par exemple) ;

  3. si deux personnes échangent beaucoup sur un sujet qui ne concerne qu’eux (ou pire s’invectivent publiquement) les inciter à faire cela en dehors de la liste et s‘ils ne le font pas, les passer en mode modéré (en l’indiquant sur la liste pour rester transparent) ;

  4. mettre toute la liste en mode modéré pour accepter ou refuser les mails (mais cela nécessite un surcroît de travail). Cela est souvent nécessaire lorsque la liste devient grande (au-delà par exemple de 500 ou 1000 membres) ou bien lorsqu’elle adresse un public très réfractaire à recevoir des mails ;

  5. Permettre aux utilisateurs qui le souhaitent de recevoir des “digest”, c’est à dire un mail qui regroupe tous les mails reçus durant une journée, une semaine, etc. Attention cependant, lorsqu’une personne qui reçoit ces mails regroupés souhaite réagir, il faut qu’elle pense à modifier l’objet du mail pour le rendre plus explicite que quelque chose du genre “lot nom-du-groupe vol 30 parution 6”...

  6. lorsqu’il y a une période active (par exemple au début quand les personnes se présentent sur la liste ou dans la préparation d’un événement) indiquer qu’il s’agit d’une période provisoire et s’arranger pour qu’elle ne dure pas plus qu’une semaine ou deux ;

  7. dans tous les cas, mettez le lien pour se désabonner de la liste dans le pied de page en bas du mail et indiquez aux personnes qui pourraient s’inscrire qu’elles pourront se désinscrire facilement. Cela rassure ceux qui craignent de se retrouver captifs (personnellement vous ne me ferez pas accepter d’être dans un groupe dont je ne pourrais pas choisir de sortir facilement et par moi-même...). Rappelez-vous : même ceux qui sont en dehors de la communauté sont vos amis ! quelqu’un qui sort de la communauté ce n’est pas un drame, mais plein de personnes qui n’osent pas y entrer par peur de ne pouvoir en sortir serait problématique ;


Le ou les modérateurs de discussion


Le rôle de modérateur de la liste consiste à rappeler et faire appliquer les règles énoncées ci-dessus, mais aussi à aider ceux qui ont des difficultés à s’inscrire ou à se desinscrire. Il y a également des mails à accepter ou à refuser (tous si la liste est en modération ou sinon bien plus rarement, lorsqu’une personne utilise une autre adresse mail pour envoyer un message que celle avec laquellle elle s’est inscrite). Ce rôle peut être tenu par un des animateurs (leader, facilitateur ou une personne dédiée à ce rôle) ou par quelques membres volontaires.


Parfois personne ne fait explicitement ce rôle, la liste peut fonctionner tout de même car plusieurs des membres peuvent rappeler les règles du  jeu lorsque cela est nécessaire. Cela pose juste un problème pour la modération de la liste (en particulier si quelqu’un n’utilise pas l’adresse mail avec laquelle il est inscrit, son message ne pourra pas passer sur la liste). Il est donc bien d’avoir un ou plusieurs modérateurs, mais la priorité doit rester d’avoir avant tout au moins un facilitateur pour le suivi des projets, ce qui est plus indispensable comme nous l’avons vu.


Pour en savoir plus : modérer une liste avec l’outil mailman


L’écosystème de groupes collaboratifs autour de l’innovation sociale - coop-group.org - utilise le serveur de liste “mailman” (il en existe d’autres tel que “sympa” par exemple). Vous pouvez trouver des tutoriels en ligne pour vous aider :


On se dit quoi sur la liste ?

Nous avons vu qu’un groupe pouvait avoir une ou plusieurs fonctions :

  1. Il permet à un ensemble de personnes de s’approprier des informations ;

  2. Il facilite également l’entraide et la montée en compétence collective ;

  3. Il est aussi le support pour développer des projets collectifs ;

  4. Enfin, pour certains groupes il est possible d’organiser des débats avec toute la communauté pour développer de l’intelligence collective ;


Les discussions sur la liste vont refléter ces différentes fonctions. Pour faire en sorte que les discussions se développent sans efforts,  il nous faut deux choses (rappelez-vous ni les animateurs ni les membres ne disposent de suffisamment de temps) :

  • tout d‘abord au moins une centaine d’inscrits afin que le nombre de personnes réactives (au minimum une dizaine dans ce cas) soit suffisant pour initier une dynamique naturelle avec des personnes qui répondent aux propositions faites sur la liste ;

  • et l’envoi régulier des informations sur les projets collectifs de la communauté (c’est le rôle du facilitateur de faire en sorte que chaque projet donne des informations au moins une fois par mois ou bien à défaut de le faire à leur place) ;


Ainsi, il y a des messages régulièrement sur la liste et des personnes pour réagir de temps en temps. Avec ce type d’activité, tout naturellement d’autres membres proposeront des informations (en particulier de la veille avec des éléments intéressants qu’ils ont trouvé ailleurs) ou demanderont de l’aide. La liste vivra ainsi sans avoir besoin de prendre du temps pour la relancer (mais encore une fois cela nécessite de relancer les porteurs de projets, ce qui est le rôle du facilitateur…).


 


 

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(Des exercices, des exemples et des compléments sont ajoutés au fur et à mesure)


Rendez-vous le 29 janvier pour le prochain épisode: l’espace de partage pour ne pas perdre la mémoire

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