Science, technologie, recherche : de quoi parle-ton ?
Mots-clés : Fsm, science, technologie, recherche
(cet article fait parti d'une série postés depuis le Forum Mondial Science et Démocratie dans le cadre du Forum Social Mondial à Belém au Brésil)
Lorsque l'on rassemble les chercheurs et la société civile comme cela a été le cas lors du Forum Science et Démocratie de Belém, il faut d'abord apprendre à se comprendre. Les points de départ et les préoccupations ne sont pas les mêmes. La première tâche devrait alors être de construire un vocabulaire commun. Les mots utilisés peuvent regrouper une signification plus large pour les uns et plus étroite pour les autres. Une bonne approche consiste à montrer qu'il existe deux mots différents pour distinguer des notions qui souvent sont confondues dans les débats[1].
La science donne des réponses, même si celles-ci peuvent être remises en cause au fur et à mesure du développement de la connaissance. Elle s'appuie pour cela sur une méthodologie éprouvée qui lui donne souvent un avantage sur les autres modes de connaissance. La recherche est par nature moins stable. Préjuger avant sa fin, du résultat d'une recherche est présomptueux. Ainsi la science ne doit pas donner un avis tranché sur tout puisque la somme des connaissances entérinées par elle est limité. Cela ne veut pas dire qu'il faut s'interdire d'argumenter sur un sujet "en cours recherche" à partir des "éléments en notre possession", afin de ne pas laisser le champ libre uniquement aux croyances, aux mythes ou pire aux manipulations. Mais transformer des arguments du type "dans l'état des connaissances scientifiques actuelles..." en phrases du genre "en tant que scientifique, je vous dis que..." revient à combattre des dogmatismes avec de nouveaux dogmatismes. Ce type d'argument d'autorité peut même par la suite être invalidé par la même science et décrédibiliser ainsi le scientifique qui en a fait usage et travers lui... la science elle-même.
Par le passé, nous avons eu droit à "nul ne peut survivre à une vitesse supérieure à celle d'un cheval au galop" (personne n'avait fait l'essai...) ou encore "aucun objet plus lourd que l'air ne peut voler" (il manquait juste un élément : la portance de l'air lorsque le mobile est en déplacement suffisamment rapide). Aujourd'hui, combien de ces "certitudes" bloquent encore certaines recherches et donnent au public une image dogmatique de la science. Il faut même prendre en compte que certaines connaissances pourtant validées par le processus scientifique à une époque, peuvent être remises en cause par le même processus scientifique lorsque nos moyens de mesure s'améliorent (pour dépasser la mécanique newtonienne par exemple avec la relativité) ou bien lorsqu'un facteur supplémentaire permet de réaliser ce que l'on pensait impossible (des matériaux supraconducteurs par exemple). Ainsi, la science doit être à la fois fière de son processus qui permet de valider de façon astucieuse des connaissances (en montrant qu'elles ont un pouvoir de prévision), et humble fasse aux limites de la connaissance.
Mêmes nos connaissances scientifiques sont limitées par nature : si ce que nous recherchons est la connaissance des lois universelles ("quelque soit... alors..."), Aristote a montré que de telles "propositions universelles" ne peuvent jamais être démontrées comme absolument "vraies", même si il est possible pour certaines de démontrer de façon absolue qu'elles sont fausses. Ainsi si je cherche à affirmer que "tous les lapins ont une queue", je dois observer la totalité des lapins. Si un "lapin sans queue" se faufile derrière mon dos alors que j'explore toute la Terre, je peux ne pas le voir. Par contre si dans mes recherches je rencontre un lapin sans queue et que je peux l'observer à loisir, alors je pourrais affirmer que la phrase "tous les lapins ont une queue" est fausse[2].
Démocratiser la science (la diffuser dans la société) est donc différent de démocratiser la recherche (qui concerne la mobilisation du potentiel de la recherche). La question de la place des citoyens dans la recherche sera abordée dans un article ultérieur.
Si nous pouvons accepter parfois de reconnaitre un phénomène sans le comprendre dans le cas de la physique, sans doute devrions nous faire de même dans les autres domaines. Ainsi l'efficacité des médicaments homéopathiques ou encore ceux issus des savoirs traditionnels [3] peut être recherché et validé ou non suivant une approche scientifique. Pour autant, la compréhension des mécanismes à l'œuvre peut rester encore dans le champ de la recherche. Plutôt que de nier un phénomène parce que nous ne comprenons pas comment il peut se produire, nous devrions plutôt chercher à démontrer s'il existe et, dans l'affirmative, pousser fortement la recherche pour comprendre comment il peut se produire. La distinction entre démontrer la réalité d'un phénomène et comprendre comment il peut se produire, devrait permettre d'orienter la recherche en fonction des connaissances scientifiques déjà acquises plutôt que par des arguments d'autorité.
Il existe donc beaucoup de confusion entre science et technologie. J'aime bien la distinction en forme de boutade de Michel Serres : «Qu’est-ce que la science ? La science, c’est ce que le père enseigne à son fils.Qu’est-ce que la technologie ? C’est ce que le fils enseigne à son papa [5]. » Quant à la distinction faite par Pek van Andel, un chercheur et expérimentateur à l'iuniversité de Groningue. Elle me semble lumineuse et propose de surcroit une place de l'art :
"Quand je définis la sérendipité comme le don de faire des trouvailles, c'est à dire de trouver ce que l'on n'a pas cherché, qu'est-ce que j'entends par trouvailles? Je parle de trouvailles si deux ou plusieurs éléments connus sont combinés originalement aux yeux de l'investigateur, en quelque chose de neuf et vrai (science), de neuf et utile (technique), ou de neuf et fascinant (art)" [6]
[1] Pour reprendre les métaphores utilisées pour le mode de pensée-2 cartographié décrit dans Prospectic, nous pourrions dire que cela consiste à distinguer plusieurs sous territoires d'idées dans un territoire plus vaste, et à les nommer.
[2] A l'inverse, une proposition existentielle ne peut jamais être démontrée fausse mais peut parfois être démontrée vraie : si je dis "il existe des lapins bleus", je ne peux jamais être certain que cela est faux. Par contre si mes recherches m'amènent à rencontrer un jour et observer des lapins bleus alors je pourrais affirmer que cette phrase "il existe des lapins bleus" est vraie.
[3] Voir un des billets précédents sur le forum sciences et démocratie : science occidentale et savoirs traditionnels.
[4] Wikipédia : technologie
[5] Michel Alberganti, « Le virtuel est la chair même de l ‘homme », interview de Michel Serres in Le Monde du 18 juin 2001 :
[6] Pek van Andel, "sérendipité ou l'art de faire des trouvailles" in Automates Intelligents, 1 février 2005
2 -
Utile pour les futurs ingénieurs et chercheursSommaire
Lorsque l'on rassemble les chercheurs et la société civile comme cela a été le cas lors du Forum Science et Démocratie de Belém, il faut d'abord apprendre à se comprendre. Les points de départ et les préoccupations ne sont pas les mêmes. La première tâche devrait alors être de construire un vocabulaire commun. Les mots utilisés peuvent regrouper une signification plus large pour les uns et plus étroite pour les autres. Une bonne approche consiste à montrer qu'il existe deux mots différents pour distinguer des notions qui souvent sont confondues dans les débats[1].
Connaissance scientifique ou recherche en cours ?
Rapidement dans les débats il est apparu nécessaire de distinguer la science (la somme des connaissances accessibles classées) et la recherche (le front de la connaissance qui peut remettre en cause le contenu de la discipline mais aussi la structure même de la science... et de la recherche).La science donne des réponses, même si celles-ci peuvent être remises en cause au fur et à mesure du développement de la connaissance. Elle s'appuie pour cela sur une méthodologie éprouvée qui lui donne souvent un avantage sur les autres modes de connaissance. La recherche est par nature moins stable. Préjuger avant sa fin, du résultat d'une recherche est présomptueux. Ainsi la science ne doit pas donner un avis tranché sur tout puisque la somme des connaissances entérinées par elle est limité. Cela ne veut pas dire qu'il faut s'interdire d'argumenter sur un sujet "en cours recherche" à partir des "éléments en notre possession", afin de ne pas laisser le champ libre uniquement aux croyances, aux mythes ou pire aux manipulations. Mais transformer des arguments du type "dans l'état des connaissances scientifiques actuelles..." en phrases du genre "en tant que scientifique, je vous dis que..." revient à combattre des dogmatismes avec de nouveaux dogmatismes. Ce type d'argument d'autorité peut même par la suite être invalidé par la même science et décrédibiliser ainsi le scientifique qui en a fait usage et travers lui... la science elle-même.
Par le passé, nous avons eu droit à "nul ne peut survivre à une vitesse supérieure à celle d'un cheval au galop" (personne n'avait fait l'essai...) ou encore "aucun objet plus lourd que l'air ne peut voler" (il manquait juste un élément : la portance de l'air lorsque le mobile est en déplacement suffisamment rapide). Aujourd'hui, combien de ces "certitudes" bloquent encore certaines recherches et donnent au public une image dogmatique de la science. Il faut même prendre en compte que certaines connaissances pourtant validées par le processus scientifique à une époque, peuvent être remises en cause par le même processus scientifique lorsque nos moyens de mesure s'améliorent (pour dépasser la mécanique newtonienne par exemple avec la relativité) ou bien lorsqu'un facteur supplémentaire permet de réaliser ce que l'on pensait impossible (des matériaux supraconducteurs par exemple). Ainsi, la science doit être à la fois fière de son processus qui permet de valider de façon astucieuse des connaissances (en montrant qu'elles ont un pouvoir de prévision), et humble fasse aux limites de la connaissance.
Mêmes nos connaissances scientifiques sont limitées par nature : si ce que nous recherchons est la connaissance des lois universelles ("quelque soit... alors..."), Aristote a montré que de telles "propositions universelles" ne peuvent jamais être démontrées comme absolument "vraies", même si il est possible pour certaines de démontrer de façon absolue qu'elles sont fausses. Ainsi si je cherche à affirmer que "tous les lapins ont une queue", je dois observer la totalité des lapins. Si un "lapin sans queue" se faufile derrière mon dos alors que j'explore toute la Terre, je peux ne pas le voir. Par contre si dans mes recherches je rencontre un lapin sans queue et que je peux l'observer à loisir, alors je pourrais affirmer que la phrase "tous les lapins ont une queue" est fausse[2].
Démocratiser la science (la diffuser dans la société) est donc différent de démocratiser la recherche (qui concerne la mobilisation du potentiel de la recherche). La question de la place des citoyens dans la recherche sera abordée dans un article ultérieur.
Démontrer un phénomène ou le comprendre ?
Une autre distinction utile concerne les différents types de connaissance. Nous pouvons chercher à démontrer qu'un phénomène existe bien (par exemple qu'un médicament a bien un effet dans certains cas sur le corps humain) ou bien nous pouvons chercher à comprendre pourquoi il se produit (comment agit le médicament pour réaliser son effet). Ne pas comprendre comment se passe un phénomène ne veut pas dire qu'il n'existe pas. Ainsi par exemple en physique quantique, la "réduction du paquet d'onde" est un phénomène par lequel une particule qui se trouve dans un ensemble d'états superposés, se réduit à un seul de ces états à l'instant où elle interagit avec une autre. Ce phénomène est bien observé et la physique des particules dispose d'une précision étonnante pour ses prévisions. Mais celles-ci sont réduites à des statistiques (le pourcentage de chance que la particule se retrouve dans tel état plutôt qu'un autre) et nous ne comprenons pas dans le détail le processus par lequel se produit cette réduction de plusieurs états à un seul état.Si nous pouvons accepter parfois de reconnaitre un phénomène sans le comprendre dans le cas de la physique, sans doute devrions nous faire de même dans les autres domaines. Ainsi l'efficacité des médicaments homéopathiques ou encore ceux issus des savoirs traditionnels [3] peut être recherché et validé ou non suivant une approche scientifique. Pour autant, la compréhension des mécanismes à l'œuvre peut rester encore dans le champ de la recherche. Plutôt que de nier un phénomène parce que nous ne comprenons pas comment il peut se produire, nous devrions plutôt chercher à démontrer s'il existe et, dans l'affirmative, pousser fortement la recherche pour comprendre comment il peut se produire. La distinction entre démontrer la réalité d'un phénomène et comprendre comment il peut se produire, devrait permettre d'orienter la recherche en fonction des connaissances scientifiques déjà acquises plutôt que par des arguments d'autorité.
Science ou Technologie ?
La technologie est la "science des techniques". Mais dans une acceptation plus récente influencée par l'anglais, elle "introduit une confusion terminologique qui conduit fréquemment à substituer à tout propos le terme « technologie » au terme « technique », le premier terme paraissant plus « noble » que le second".[4]Il existe donc beaucoup de confusion entre science et technologie. J'aime bien la distinction en forme de boutade de Michel Serres : «Qu’est-ce que la science ? La science, c’est ce que le père enseigne à son fils.Qu’est-ce que la technologie ? C’est ce que le fils enseigne à son papa [5]. » Quant à la distinction faite par Pek van Andel, un chercheur et expérimentateur à l'iuniversité de Groningue. Elle me semble lumineuse et propose de surcroit une place de l'art :
"Quand je définis la sérendipité comme le don de faire des trouvailles, c'est à dire de trouver ce que l'on n'a pas cherché, qu'est-ce que j'entends par trouvailles? Je parle de trouvailles si deux ou plusieurs éléments connus sont combinés originalement aux yeux de l'investigateur, en quelque chose de neuf et vrai (science), de neuf et utile (technique), ou de neuf et fascinant (art)" [6]
Distinguer ou confondre ?
Faciliter le débat sur "science et société" nécessite de savoir de quoi on parle. De nombreuses confusions sont faites, pas seulement d'ailleurs par le grand public. Il est utile de distinguer les notions sur lesquelles ont souhaite débattre :- La science, bien que non absolue, propose un ensemble de connaissances suffisamment validées pour y appuyer notre société. La recherche en est le front mouvant. Parler "au nom de la science" nécessite de se limiter au corpus de connaissances scientifiques validées et de ne pas émettre d'arguments d'autorité dans les domaines encore en recherche.
- Démontrer la réalité (ou non) d'un phénomène doit être une base pour pousser de nouvelles recherches pour en comprendre les mécanismes. A l'inverse, ne pas comprendre le mécanisme d'un phénomène ne doit pas empêcher d'en rechercher la véracité.
- La science et la technologie (ainsi que l'art) n'ont pas le même objectif. Ils peuvent cependant se compléter pour s'enrichir mutuellement.
[1] Pour reprendre les métaphores utilisées pour le mode de pensée-2 cartographié décrit dans Prospectic, nous pourrions dire que cela consiste à distinguer plusieurs sous territoires d'idées dans un territoire plus vaste, et à les nommer.
[2] A l'inverse, une proposition existentielle ne peut jamais être démontrée fausse mais peut parfois être démontrée vraie : si je dis "il existe des lapins bleus", je ne peux jamais être certain que cela est faux. Par contre si mes recherches m'amènent à rencontrer un jour et observer des lapins bleus alors je pourrais affirmer que cette phrase "il existe des lapins bleus" est vraie.
[3] Voir un des billets précédents sur le forum sciences et démocratie : science occidentale et savoirs traditionnels.
[4] Wikipédia : technologie
[5] Michel Alberganti, « Le virtuel est la chair même de l ‘homme », interview de Michel Serres in Le Monde du 18 juin 2001 :
[6] Pek van Andel, "sérendipité ou l'art de faire des trouvailles" in Automates Intelligents, 1 février 2005
Par Jean-Michel Cornu | Avant | 05/03/2009 08:55 | Après | Attrape moi si tu peux | 4 commentaires | Lu 6950 fois |
par Canto y Crecimiento personal, le Mardi 27 Décembre 2011, 12:37
En tant qu´ancien ingénieur (INSA Lyon), je trouve qu´il serait bien utile de partager ces sujets à un certain moment, au lieu de faire du technique à 100%. Ça aide à mieux trouver sa place dans la société une fois en poste pour ceux qui s´orientent vers la recherche.Répondre à ce commentaire
Sincères slautations,
Olivier.
Commentaires
1 -par Anonyme, le Vendredi 10 Juin 2011, 16:05 Répondre à ce commentaire