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(cet article fait parti d'une série postés depuis le Forum Mondial Science et Démocratie dans le cadre du Forum Social Mondial à Belém au Brésil)

Permettre un véritable débat sur les enjeux de la science et des technologies pour la société nécessite une acculturation des citoyens afin qu'ils comprennent les possibilités offertes par la science mais aussi le mode de production des savoirs et la culture scientifique. On pourrait rétorquer que former le grand public à toutes les subtilités des sciences et techniques est impossible et qu'il faut déléguer ce débat aux experts, mais ce serait confondre deux types de connaissances : celle qui permet de comprendre les grands enjeux et celle qui permet de reproduire les expériences et d'en créer de nouvelles.

Michel Serres utilise une belle image pour distinguer ces deux approches. Il explique qu'il aime gravir certaines montagne avec des guides de haute montagne qui en connaissent chaque recoin. Pourtant il arrive qu'après avoir peiné pour atteindre le sommet, ils y trouvent une équipe de télévision qui s'y est fait déposé par hélicoptère. La première réaction est un certain agacement devant ces personnes qui ont atteint la cime sans efforts. Pourtant, le philosophe se pose une question : qui connait le mieux la montagne, celui qui connait une ou deux montagne parfaitement et est capable de la gravir ? Ou bien celui qui s'est fait déposé sur les 300 plus hauts sommets de la planète ? Le type de connaissance dans les deux cas n'est pas la même. Pour participer au débat sur les sciences et technologies et la société, c'est avant tout le deuxième type de connaissance qui est important : une vue d'ensemble des principaux résultats scientifiques et techniques, y compris les plus récents.

C'est le type d'information que diffuse l'association indienne All India People's Science Network (AIPSN http://aipsn.org/) qui regroupe 41 organisations et 500000 membres à travers tout le sous continent. Ce mouvement a démarré dans les années 1950 et s'est établi en 1962 comme une organisation d'auteurs scientifiques. Elle s'est largement développée dans les années 1980 pour toucher un grand nombre de domaines tels que la santé, l'environnement, l'organisation des ressources naturelles, etc. Le crédo de l'AIPSN est que la science n'est pas à coté des questions de société, mais que les connaissances scientifiques et techniques ont un impact sur les choix de société et la façon dont les personnes vivent ensemble.

Pour atteindre le but, certaines des organisations vont plus loin que la simple diffusion des connaissances. Elles proposent d'impliquer les citoyens dans la réalisation même de la science pour les sensibiliser aux méthodes et à la démarche scientifique. Ainsi par exemple, une des organisations membre de l'AIPSN s'est intéressée aux ruraux illettrés à partir de début 1991. Elle a fait participer les habitants des villages à la construction des cartographies. A partir des cartes cadastrales, des petits groupes ont dressé des inventaires de ressources qui ont permis de réaliser des cartes très complètes. Cette implication de citoyens au coté des scientifiques a complètement changé la perception qu'ils avaient de la science mais également leur rapport au territoire et au collectif.

Cela me rappelle un autre exemple, cette fois en Alberta au Canada, qui m'a été raconté en 2001 par René Hatem, architecte en chef du réseau Ca*net dans l'association Canarie. Le projet nommé « Cosmic Ray e-science » consistait à placer des détecteurs de rayon cosmiques sur les toits d’écoles. Le signal reçu était traité sur les ordinateurs de l’école et envoyé automatiquement à l’ordinateur d’un des centres de recherche de l’Alberta. Le calcul de l’angle d’incidence et de l’intensité du rayonnement croisé entre les différents lieux permettait de déterminer l’origine de la pluie de rayonnement cosmique (activité du soleil, supernova…). Cette initiative s’est étendue à des écoles au-delà de l’Alberta. Le résultat intéressant a été le changement de perception de la science par les élèves. Elle n’est plus quelque chose d’abstrait qui se fait dans des laboratoires éloignés. Les jeunes s’impliquent plus dans cette science qui se fait sous leurs yeux.

La diffusion des connaissances scientifiques et techniques, y compris les résultats les plus récents de la recherche, est très certainement la condition première pour permettre un véritable débat collectif sur les choix de société. C'est sans doute pour cela qu'au Brésil, en plus des deux rôles que nous connaissons pour les professeurs des universités publiques (l'enseignement et la recherche), a été ajouté un troisième rôle : "l'extension". Elle consiste à porter la connaissance en dehors des murs.

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