3.2 Les modèles économiques
Livre "la coopération, nouvelles approches" version 1.1
Nous avons vu que les individus, s’ils ont résolu leurs problèmes de sécurité (par exemple s’ils sont salariés d’une entreprise ou d’une administration), peuvent retirer plusieurs avantages à participer à des projets coopératifs : du plaisir, du savoir-faire et de la reconnaissance qui leur amène la coopération des autres, la satisfaction de leur besoin inné de reconnaissance et parfois une augmentation de leurs moyens et de leur statut social (par exemple par une promotion dans leur société).
Mais quel intérêt peuvent avoir les structures qui leur apportent cette sécurité à jouer le jeu de la coopération en laissant leurs employés participer à des projets extérieurs ? Cette question amène des réponses différentes suivant le type d’acteur du projet.
L’intérêt du distributeur
Pour un distributeur, le bénéfice est plus apparent. Il n’est pas obligé de coopérer à la définition du projet (bien que beaucoup contribuent pour améliorer leur image). Il propose les résultats du projet coopératif sans avoir eu à les produire. S’il a reçu ces produits sans contrepartie, il ne pourra souvent pas les revendre directement. Il équilibrera ses coûts par d’autres moyens :
- La vente d’autres produits tels que des produits ou des contenus complémentaires, des services, une certification (une marque) ou des produits dérivés. Il existe plusieurs possibilités depuis la vente directe, jusqu’à l’abonnement en passant par le " pay per view " (le paiement à chaque utilisation).
- La valorisation directe de l’audience obtenue dans le cas de la distribution de contenus libres, par la publicité, la vente de petites annonces ou d’offres d’emploi.
- L’exploitation des limitations d’utilisation du produit réalisé de façon coopérative. Certaines licences imposent une limitation dans le temps ou dans le cadre d’utilisation publique. Il est ainsi possible de vendre des fonctions ou des possibilités supplémentaires. Cela est plus particulièrement vrai quand le distributeur réalise des adaptations spécifiques pour un client. L’équilibre entre l’économie d’échange et l’économie du don pourrait s’établir dans certains cas de biens immatériels abondants sur la règle : " ce qui est générique est gratuit, les adaptations spécifiques sont payantes ". Cela correspondrait bien à la différence entre biens rares ou biens abondants que nous avons identifiés comme favorisant l’économie d’échange ou économie du don.
Le distributeur qui économise ainsi sur les coûts de recherche et développement d’un produit réalisé de façon coopérative, apporte en échange la prise en charge des coûts de packaging, de marketing et de promotion. Il apporte ainsi, en plus de services associés, un plus au produit, qu’il ait décidé ou non de contribuer à sa production.
L’intérêt des utilisateurs
Pour les utilisateurs-contributeurs, le problème est différent. Si l’utilisation d’un produit réalisé par d’autres ne pose pas de problème, contribuer à son développement nécessite de voir le bénéfice à en tirer comme une réduction de certains coûts plutôt que comme une augmentation du chiffre d’affaire. Tout produit a en effet une valeur d’usage qui est un coût pour l’utilisateur. L’avantage pour l’utilisateur est triple :
- En participant à une communauté de développeurs, il dispose d’une abondance de personnes dotées d'une expertise à laquelle il peut faire appel. Cela diminue le coût de maintenance et accélère l’identification des problèmes et leur résolution.
- En mutualisant ses efforts avec d’autres, il réduit ses coûts de développement en interne Ceci n’est bien sûr valable que pour les développements faisant appel à des connaissances bien connues de tous. Conserver le secret ne représente donc pas un avantage concurrentiel.
- Il acquière un savoir-faire précieux en ayant des personnes qui contribuent directement au projet. Outre les avantages évident pour la maintenance, il acquiert l’expertise nécessaire pour développer en interne des adaptations spécifiques qui, elles, peuvent représenter un avantage concurrentiel.
Finalement, l’utilisateur a gagné plus de possibilités de choix. Il peut rester un simple utilisateur et faire appel à un distributeur sur lequel il reportera la responsabilité dans le cadre d’une garantie de service. Il peut également choisir de devenir contributeur pour acquérir l’expertise en interne et diminuer ses coûts de maintenance.
L’intérêt du coordinateur
Pour les coordinateurs, la question est plus subtile. Il reste peu de personnes à financer puisque les contributeurs ont pris en charge une très grande partie du développement et les distributeurs le packaging et la promotion du produit réalisé. Mais il reste à permettre au coordinateur ou à la petite équipe de coordination d’avoir les moyens d’accomplir son rôle. Il existe plusieurs cas de figure :
- Un utilisateur voit l’avantage d’aller au-delà de la simple contribution et de bénéficier de tous les avantages d’avoir en son sein la personne connaissant le mieux le projet.
- Un distributeur souhaite financer le temps d’un coordinateur pour se constituer une communauté d’utilisateurs ou améliorer son image (on retrouve ce cas de figure dans un certain nombre de grands cabinets d’avocats américains).
- Le coordinateur ayant déjà résolu ses besoins de sécurité matérielle, il dispose d’un temps suffisant pour assurer bénévolement la coordination du projet.
- Le coordinateur est dans un grand groupe, une université, un laboratoire de recherche ou une administration et peut libérer du temps pour le projet, même si son employeur n’en a pas un bénéfice direct et immédiat.
Le paradoxe du coordinateur financé
Lorsque le coordinateur n’est pas au sein d’une structure ayant un intérêt à le laisser gérer son projet, et lorsqu’il n’a pas résolu ses problèmes de sécurité pour lui permettre de coordonner bénévolement son projet, il cherche alors à trouver un financement lui permettant d’assurer ce rôle. Il devient dès lors plus difficile de demander aux utilisateurs de contribuer sans contrepartie financière lorsque l’on est soit même payé pour son projet.
Ce cas de figure a souvent entraîné un certain flou pour éviter que les utilisateurs comprennent que certains sont payés et d’autres non. Cela a parfois donné une image très négative des coordinateurs financés pour leur travail de coordination, en particulier de la part d’autres coordinateurs faisant la promotion du seul bénévolat pour assurer ce genre de tâche, même s’ils sont souvent par ailleurs salariés par leur structure.
La solution consiste à rechercher soit un mécène (c’est un cas de plus en plus fréquent, en particulier de la part de distributeurs qui souhaitent améliorer leur image) ou un financement pour un travail connexe. Dans ce cas, le coordinateur peut être payé pour mettre en oeuvre des produits complémentaires tels que nous les avons énumérés dans le modèle économique du distributeur et rester ainsi bénévole sur le coeur du projet qui lui, doit impliquer un grand nombre de personnes.
Il s’agit probablement d’un des aspects sur lesquels la réflexion est le moins mature aujourd’hui. Nous ne disposons pas tous d’une sécurité financière qui nous permette de nous positionner dans un contexte d’abondance !
Les autres coûts du projet
Une fois acquis le financement des utilisateurs-contributeurs, du coordinateur et des distributeurs , il reste à financer les coûts directs du projet. Ceux-ci sont bien souvent très réduits. L’émergence de l’Internet a permis de mettre en place des outils de gestion de projets distribués à grande échelle avec un coût quasi nul en numéraire. Il peut cependant rester des coûts, en particulier lors de l’organisation de réunions physiques ou lors de la présentation au public. Disposer de temps devant soit et saisir les opportunités permet souvent d’obtenir des moyens en nature. Les coûts résiduels en numéraire peuvent alors souvent être trouvés plus facilement.
Exemple : Le coût de la coordination mondiale de l’Internet Fiesta 2000 |
Dans le cadre de l’Internet Fiesta 2000, le coût total en numéraire de la mise en place des trois jours de coordination mondiale a été de 23000 FRF (soit environ 3600 €). Ils auraient pu être bien moindre si le projet avait disposé de plus de temps de maturation. Ce coût résiduel en numéraire a été pris en charge directement par les coordinateurs eux-mêmes, puis remboursés ensuite par des sponsors à la vue des résultats obtenus. |
Les recherches de financement
Les subventions ou financements de projets coopératifs doivent être structurés de façon très différente des méthodes habituelles. Ces dernières imposent une description détaillée des résultats attendus rendant difficile les réorientations au gré des opportunités, il faut utiliser toute la subvention si on souhaite la voir reconduite, l’évaluation ne se fait pas de façon globale par les personnes concernées mais pas un petit groupe de personnes qui n’ont souvent pas bénéficié directement du projet.
Il serait intéressant de réfléchir à de nouveaux types de financements. On pourrait imaginer par exemple des financements a posteriori sur la reconnaissance obtenue auprès des bénéficiaires (des utilisateurs) sur des projets dont le coût en numéraire est très réduit. L’argent est investi à coup sur par le financeur. Pour le porteur de projet cela lui permet, après un investissement de départ, de financer le projet suivant qui, s’il est couronné de succès, pourrait également recevoir des financements à posteriori, et ainsi de suite.
Outre les bénéfices non financiers obtenus par les personnes actives, il est nécessaire de comprendre les modèles économiques en jeu :
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Livre sur la coopération
Par J-M Cornu | Avant | 24/12/2004 11:12 | Après | Coopération | aucun commentaire | Lu 6863 fois |