On parle de réseau lorsque des éléments interagissent entre eux au sein d’un groupe. Ils sont étudiés aussi bien par les sciences humaines et sociales, les sciences du vivant et de la terre, que les sciences et techniques de l'information et de la communication. De façon étonnante, tous ces réseaux apparemment distincts ont certains points communs.

Ce texte cherche à proposer une synthèse accessible à des non-spécialistes de ce qui est commun (mais aussi différent) dans les différents types de réseaux. Il fait donc appel autant que possible à un vocabulaire usuel. Les termes techniques exacts sont cependant indiqués en note afin de pouvoir faire référence aux différents travaux dans ce domaine qui s’est largement développé depuis une vingtaine d’année [1]. Beaucoup de résultats sont simplement cités mais non démontrés. Ils sont pourtant parfois étonnants voire contre intuitifs et il peut être bon, pour se convaincre de leur bien fondé, de revenir par la suite aux travaux scientifiques.

La triade « constituants, règles, réseau »

Souvent nous tentons d’aborder un réseau social, technique ou autre par le réductionnisme : en étudiant le comportement de ses constituants. Cela ne fonctionne pas dans de nombreux cas car il faut prendre en compte non pas un mais deux facteurs : les constituants, mais aussi les règles qui régissent leur interaction. Mais leur imbrication très serrée fait qu’il n’est pas si facile de comprendre le comportement d’un réseau lorsque l’on connaît ses constituants et ses règles. Parfois le résultat dépend plus des constituants, parfois il dépend principalement des règles et d’autres fois il faut prendre en compte ces deux facteurs.
Deux hommes veulent se confronter au tir à la corde. Le résultat dépend normalement de leur force respective.
Mais un autre facteur peut changer la donne : la pente du terrain. Le résultat global dépend parfois moins de la force des personnes ou même du nombre de personnes qui tirent de chaque côté de la corde que de la pente qui peut avantager certains des protagonistes.
Ne voir que les règles du jeu sans voir celles qui influencent le terrain pourrait faire croire que le résultat global n’est que la somme des efforts individuels…

Les constituants plus les règles donnent le réseau

Le réseau peut être déterminé par ses constituants et ses règles.

La triade : réseau, règles, constituantsEn fait il faut considérer les trois aspects avec deux d’entre eux déterminant le troisième. Ainsi, il est théoriquement possible de déterminer les règles en observant les constituants et le réseau ou encore de déterminer les constituants en étudiant le réseau et les règles. Nous sommes habitués à réfléchir par des déductions simples (si ceci est vrai alors…). Il va nous falloir apprendre à penser d’une façon double (si ceci et cela sont vrais alors…).

La perte (partielle) de notre capacité à prévoir

Une des particularités de cette imbrication entre plusieurs règles et plusieurs constituants est qu’il devient plus difficile de prévoir comment va évoluer un système même si on en connaît toutes les règles et les constituants à un moment donné.

Habituellement, pour prévoir l’évolution d’un système nous en faisons une modélisation mathématique : nous mettons les règles en équation. En changeant la valeur du temps dans une équation nous pouvons connaître immédiatement ce qui va se passer plus tard… sans avoir besoin de savoir explicitement ce qui s’est passé entre-temps.
Tout se passe comme si, plutôt que de suivre le chemin pour gravir une montagne, nous nous faisions déposer au sommet par hélicoptère (l’image est de Michel Serres). Nous n’avons pas besoin de passer péniblement par toutes les étapes intermédiaires pour passer d’un point à l’autre.
Mais avec les réseaux, les équations interagissent entre elles et il n’est souvent plus possible de les réduire à une seule équation. Ainsi, bien que les réseaux soient déterministes, nous perdons la prévisibilité au sens où nous l’entendons habituellement en science [2]. Heureusement, nous conservons malgré tout une capacité réduite d’observer le futur grâce à la simulation. Dans ce cas, pour connaître l’état d’un réseau à un moment donné il faut passer par toutes les étapes intermédiaires.
Avec les réseaux, plus possible de nous faire « déposer par hélicoptère » directement où nous souhaitons. Il nous faut passer par toutes les étapes intermédiaires…

Simplifier en ne prenant en compte qu’un seul facteur

Pour éviter de devoir prendre en compte deux facteurs « enchevêtrés » pour déterminer le troisième, il est parfois possible de simplifier le problème et de ne s’attacher à l’effet que d’un seul des éléments : quelle est l’influence des constituants sur le réseau ? Quelle est l’influence des règles sur le réseau ? etc.
Dans le tir à la corde, lorsque le jeu concerne un grand nombre de personnes qui tirent de chaque coté, le résultat ne dépend pratiquement plus de la force individuelle de telle ou telle personne, ni même de la capacité des initiateurs à convaincre quelques personnes de plus de venir les rejoindre. Si le terrain est très en pente, il devient possible de prévoir le résultat en fonction de la pente, presque indépendamment du nombre de personnes de chaque coté.

Les dangers de simplifier trop vite

Mais même lorsque cette simplification n’est pas possible, nous avons tendance à ne voir qu’une seule des facettes [3] :
  • Souvent nous observons les constituants élémentaires mais nous négligeons l’influence de certaines règles ;
    • Toujours dans le tir à la corde, si l’équipe adverse ne s’intéresse qu’au nombre de personnes qu’elle rassemble et qu’elle néglige le terrain, vous pouvez la battre aisément…
  • Lorsque nous observons au niveau local, nous sommes souvent aveugle sur le niveau global (nous ne le voyons que comme la somme des aspects locaux)... et vice versa.
    • Dans un tableau pointilliste, la reconnaissance d’un visage est difficile si on se contente de regarder chaque point et sa taille par rapport aux voisins…
Lorsque nous négligeons ainsi un des facteurs, nous perdons la capacité d’avoir une compréhension complète de ce qui se passe. Des phénomènes curieux « émergent » [4].

Résumé
  • Il faut prendre en compte trois facteurs : constituants, règles et réseau ;
  • Deux de ces facteurs déterminent le troisième ;
  • Mais il n’est en général pas possible de prévoir (au sens habituel du terme) le résultat, il est juste possible de le simuler ;
  • On recherche en général l’influence d’un des facteurs sur un autre pour simplifier le problème. Cela est pertinent que dans certains cas de figure.

Le réseau global

Le réseau est influencé par plusieurs facteurs :
  • Les constituants individuels. Cela n’est plus vrai cependant au-dessus d’un certain nombre de constituants. En général le seuil au-delà duquel un constituant a très peu de chance de modifier le résultat global est d’environ 1000 éléments [5]. Dans ce cas, le résultat obtenu pour le réseau est indépendant des constituants qui le composent (cf. l’exemple du tir à la corde).
    Mais certaines règles ont la particularité de repousser plus loin cette limite et de permettre à un constituant individuel de modifier le résultat global [6].
    • En météorologie, Edward Lorentz a étudié la question : « le battement d’aile d’un papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade au Texas ? »
  • Les règles d’interaction. En général, une règle appliquée aux constituants fait converger l’ensemble vers une « forme » globale particulière au-delà d’un certain nombre d’interactions [7]. La disposition initiale des constituants prend alors moins d’importance. Ce nombre d’étapes dépend de la diversité des constituants de départ qui permet (ou non) aux règles élémentaires de rencontrer la plupart des cas de figure pour se « déployer » complètement. Certaines règles ont la particularité d’exiger un plus grand nombre d’étapes pour converger vers une forme globale [8].
    • Les termites suivent chacun une règle simple : ils façonnent une boulette imprégnée de salive et la déposent là où l’odeur est la plus forte (c’est à dire là où se trouvent d’autres boulettes). Petit à petit, des piliers se constituent. Au bout d’un certain temps, du haut du pilier, le termite peut sentir les autres piliers proches. Il met alors sa boulette légèrement dans la direction de l’autre pilier. Ainsi, les piliers se rejoignent en arches et constituent les véritables cathédrales que forment les termitières
  • L’environnement. Le réseau global est influencé également par le reste de l’environnement. Dans certains cas où l’environnement fournit de l’énergie, il suffira d’une petite perturbation locale pour que le réseau global s’autoorganise [9]. Cependant, il existe des cas de figure où l’environnement ne joue aucun rôle [10].
    • Toujours en météorologie, lorsqu’il existe une couche d’air frais au dessus d’une couche d’air plus chaud, l’air froid a tendance à descendre sous l’effet de la pesanteur et l’air chaud a tendance à monter. Quelques soient les endroits où se créent au départ des courants ascendants et descendants, ils s’organisent sous forme de grandes cellules d’air tournant, appelées cellules de convection.
  • Eventuellement le groupe peut agir sur lui-même par rétroaction. Mais dans ce cas, l’ensemble peut devenir non déterministe [11].
    • Les membres d’un groupe peuvent se concerter « collectivement » pour décider de l’évolution de leur propre groupe.
Cet ensemble d’influences explique la phrase « le tout est plus que la somme des parties » [12].

On peut ainsi voir apparaître au niveau global des formes particulières [13] ou bien voir évoluer les valeurs globales du système vers une valeur constante mais aussi parfois de façon cyclique, désordonnée ou même parfois autoorganisée (à la frontière entre l’ordre et le désordre, le réseau présente une tendance spontanée à l’autoorganisation. Cela est possible même avec des règles très simples) [14].

Un cas particulier souvent rencontré

Il existe un cas particulier qui est souvent considéré comme le cas général : lorsqu’un réseau comprend un nombre suffisamment important de constituants diversifiés avec des règles qui interagissent depuis suffisamment longtemps et lorsque l’influence de l’extérieur reste réduite, alors le réseau global ne dépend que des règles de base. Le lien de causalité entre deux choses aussi différentes qu’un ensemble de règles et la forme résultante globale est souvent non intuitif. Cependant, il est possible de rendre le réseau de nouveau prévisible (au moins statistiquement au niveau global) [15].
Voir l’exemple de la constitution des termitières ou du tir à la corde avec un grand nombre de personnes et sur un terrain en pente.

Le cas général est plus riche

Lorsque nous ne sommes pas dans ce cas particulier (par exemple lorsque le nombre de constituants est insuffisant par rapport au type de règles mises en jeu), alors nous devons prendre en compte simultanément l’influence imbriquée des constituants et des règles (et éventuellement de l’environnement) et nous ne savons plus donner de lois générales. C’est pourtant le cas le plus riche qui permet de créer potentiellement une grande diversité de résultats globaux.

Une façon de rendre le réseau plus riche

Normalement, l’influence de constituants individuels ne peut se propager au résultat global que lorsque le nombre total de constituants est en dessous d’un certain seuil (qui peut varier en fonction des règles appliquées). Une des façons de propager des influences individuelles au-delà ce seuil est de permettre des regroupements partiels afin de constituer un ou plusieurs niveaux intermédiaires. Ainsi, entre deux niveaux, le nombre de constituants (éventuellement des sous-groupes) reste inférieur au seuil et les actions individuelles peuvent ainsi se propager de proche en proche [16]. Ces niveaux intermédiaires peuvent d’autant plus se constituer de façon autoorganisée que le nombre de voisins de chaque constituant est grand [17].

Résumé
Le réseau est influencé par :
  • Ses constituants individuels lorsque leur nombre est en dessous d’un certain seuil qui peut varier suivant les règles. Il est cependant possible de permettre une influence individuelle dans des grands réseaux en mettant en place des regroupements intermédiaires ;
  • Les règles d’interaction font converger les valeurs globales du réseau au-delà d’un certain nombre d’étapes vers des valeurs constantes, cycliques, désordonnées ou autoorganisées. Le nombre d’étapes nécessaire est plus ou moins grand en fonction des règles elles-mêmes et de la diversité des constituants ;
  • L’environnement qui pousse vers l’autoorganisation lorsqu’il fournit de l’énergie ;
  • Le groupe qui crée un réseau non déterministe lorsqu’il y a rétroaction.
Dans certains cas, il est possible de ne faire dépendre le réseau que des règles et de le rendre ainsi de nouveau prévisible (au moins statistiquement). Mais dans le cas le plus général, nous ne savons plus énoncer de lois applicables.

Les constituants de base

Les constituants sont influencés :
  • par les autres constituants ainsi que par les règles qui les relient [18].
    • Dans l’exemple de la construction d’une termitière, chaque termite dépose sa boulette enduite de salive suivant des règles simples (là où l’odeur est la plus forte). Il est donc également influencé par les actions des autres termites.
  • Mais également par le réseau global qui peut exercer une sélection sur les constituants les mieux adaptés [19].
    • Les animaux et les plantes interagissent entre eux pour former une faune et une flore. Dans l’autre sens, les spécimens les mieux adaptés à cet écosystème ont plus de chance de survivre.

On remarque que dans certaines conditions, les constituants peuvent se regrouper par deux ou par petits groupes, ce qui leur donne souvent un avantage de survie [20].
Notre intestin contient plus de 200 espèces de bactéries qui vivent en symbiose avec nous. Elles nous permettent de digérer et nous leur permettons de survivre en leur apportant collectivement tout ce dont elles ont besoin.

Les réseaux de personnes

Lorsque les constituants sont des personnes avec une volonté et un libre arbitre, elles ont également une capacité à s’influencer elles-mêmes. Si de plus ces personnes ont une capacité d’abstraction et une vision des résultat globaux, elles peuvent démultiplier cette influence en modifiant les règles et donc de façon indirecte, le groupe, les autres et elles-mêmes.
Les groupes humains définissent des règles pour régir leur fonctionnement. Elles permettent à la communauté de converger ou non vers le but choisi en fonction de la compréhension qu’ils ont des mécanismes (les règles de base donnent parfois des résultats contre intuitifs). En économie, lorsque le client a une difficulté pour connaître le contenu et la qualité des produits et services proposés ainsi que le niveau de compétence des fournisseurs, alors les règles du marché poussent les plus mauvais produits à bas prix à éliminer tous les autres [21].

La difficulté de choisir consciemment des modifications des règles

Il existe deux limites au-delà desquelles il devient difficile d’appréhender simultanément chaque composant et ses influences. Elles nous rendent difficile d’avoir simultanément une vision locale et une vision globale :
  • les mathématiques ne permettent pas, sauf dans des cas particuliers, de décrire plus de deux composants en interaction sous la forme d’une seule équation. Il n’est donc plus possible, comme nous l’avons vu, d’obtenir un résultat pour n’importe quel instant sans passer par toutes les étapes intermédiaires [22].
  • notre cerveau n’a pas la capacité de prendre en compte plus de cinq composants (nous disposons de cinq groupes de neurones qui nous permettent d’appréhender naturellement un ensemble maximum de cinq objets [23]). Au-delà, nous devons faire appel à notre capacité d’abstraction et à notre capacité d’associer un nom à chaque nombre [24].

Même s’il n’est pas toujours possible de faire le lien intuitivement ou mathématiquement entre les visions locales et globales, permettre à un réseau de personne de voir le résultat global des actions locales permet d’adapter les choix à défaut de pouvoir les anticiper autant que nous pourrions le souhaiter.
Le générateur Poïétique de l’artiste numérique Olivier Auber permet de visualiser l’ensemble d’un dessin dont chacun ne réalise qu’une partie. Sans concertation, les participants convergent vers un dessin global cohérent.

Résumé
Les constituants sont influencés par :
  • Les autres constituants (y compris eux-mêmes s’il s’agit de personnes disposant de volonté et d’un libre arbitre) ;
  • Les règles ;
  • Le réseau qui exerce une sélection sur les constituants ou les groupes de constituants.

Lorsqu’il s’agit de personnes, il est parfois possible d’avoir des modifications conscientes des règles. Cela nécessite une capacité d’abstraction et d’avoir une vision de l’action globale résultant des règles locales. Mais notre capacité à faire le lien entre une vision locale et une vision globale est limitée à la fois par notre cerveau et nos outils mathématiques usuels.

Les règles d’interaction

Les règles elles-mêmes peuvent être influencées :
  • Par le réseau global. Celui-ci sélectionne certaines règles plutôt que d’autres [25].
  • Par les règles elles-mêmes. Il peut exister des règles de modification des règles et pas seulement des règles d’interaction entre les constituants.
    • Les états définissent des lois, et changent donc leurs propres règles, en fonction de certaines règles prévues à cet effet (la constitution et les lois elles-mêmes) mais aussi selon d’autres règles qui ont un impact sur ce mécanisme (prise en compte du calendrier électoral, importance des groupes d’intérêts, médiatisation…).
  • Par les constituants de base [26]. Cela est vrai lorsqu’il s’agit de personnes dotées d’une volonté et d’un libre arbitre [27], mais cela peut être vrai également de façon plus automatique lorsqu’il existe des règles de modification des règles. Dans les deux cas, la difficulté consiste à :
    • trouver les bonnes règles locales qui se déploieront vers le résultat voulu (ce qui n’est pas simple, comme nous avons vu, au regard des limitations de notre cerveau et celles de nos outils mathématiques).
    • garantir que ce résultat est véritablement une intention collective avec la possibilité pour le plus grand nombre de prendre part au choix
    • Les règles doivent faire converger au maximum les intérêts Mais aussi prendre en compte qu’il restera malgré tout des divergences d’intérêt [28], sinon on risque de favoriser l’intérêt éventuellement divergent d’un petit groupe qui seul fixerait les règles au détriment du groupe, d’un autre sous-groupe ou de certaines personnes.

Une grande diversité de règles

Certaines règles ont des particularités qui leur permettent de créer de l’autoorganisation ou qui autorisent un constituant élémentaire à avoir une influence visible sur tout le réseau :
  • Certaines règles repoussent plus loin la limite au-delà de laquelle les actions individuelles sont noyées dans la masse [29], ou bien donnent une importance particulière à un des constituant (par exemple pour modifier les probabilités d’apparition d’un phénomène [30]).
    • En chimie, un catalyseur permet à une réaction de s’opérer alors que sa probabilité serait très faible sans la présence de ce catalyseur.
  • Les règles ne se conduisent pas forcément d’une façon simple et linéaire comme notre sens commun nous le ferait croire [31]:
    • Dans certains cas, l’ordre d’application des règles est important [32].
      • Dans une recette de cuisine, le résultat n’est pas la simple superposition des ingrédients. Le gâteau dépend des règles qui leur sont appliquées et de l’ordre dans lesquelles les ingrédients et les règles sont introduits.
    • Les interactions ne s’additionnent pas toujours [33].
      • Pour reprendre l’exemple de la recette de cuisine, le résultat n’est pas la somme des composants mais quelque chose de nouveau ayant des caractéristiques propres.
    • L’assemblage d’un grand nombre de règles peut aussi permettre l’émergence de résultats globaux… désirés ou non [34].
  • Certaines règles donnent un résultat totalement différent si on leur introduit une légère perturbation [35].
    • L’introduction de légères variations dans les règles est courante et introduit de la diversité dans les règles elles-mêmes.
      • Plusieurs personnes font une randonnée au coupe-coupe dans une forêt touffue. En général chacun a tendance à suivre la route tracé par ceux qui l’ont précédé. Mais de temps en temps, l’un ou l’autre s’éloigne du chemin et découvre de nouveaux coins.
    • Avec ce type de règles [36], les réseaux sont alors comme attirés vers un état particulier qui peut rester identique si on modifie légèrement les conditions de départ [37]. On parle alors d’autoorganisation.
      • Même lorsque les personnes partent de point différents, si elles croisent le même chemin principal tracé auparavant, elles auront tendance à le suivre et se retrouveront donc à suivre (en règle générale) la même route.
    • Mais parfois, au-delà d’un certain seuil dans la modification des règles, le réseau va brutalement se réorienter vers un autre état particulier d’organisation [38] ou au contraire vers un désordre [39]. Ces autoorganisations instables conduisent à des discontinuités. On sait aujourd’hui analyser les grandes lignes du fonctionnement du réseau en fonction des différents types de discontinuités dont le nombre dépend du nombre de dimensions de l’espace dans lequel sont définies les règles.
      • En s’éloignant du chemin tracé, une personne se rend compte qu’un magnifique lac se trouvait juste à coté du chemin sans qu’il ne soit visible auparavant. En traçant son chemin au coupe-coupe, elle a rendu visible le lac depuis l’ancien tracé. Les suivants ont alors tendance à emprunter majoritairement cette nouvelle voie.
    • Lorsqu’il existe des boucles de rétroaction positive, il peut exister plusieurs de ces états semi-stables en même temps vers lesquels on s’oriente en fonction des conditions de départ. On crée ainsi plusieurs « possibles » qui peuvent s’actualiser si on dispose d’une diversité dans les constituants de base [40]
      • Au fur et à mesure du passage des randonneurs, de nombreux chemins se créent et permettent d’atteindre les différents lieux intéressants à l’écart du tracé principal.
Les types de réseaux sur lesquels s’appliquent les règles structurent aussi le résultat [41]:
  • Plus le nombre de dimensions ou le nombre de voisins augmente et plus se créent des structures intermédiaires organisées qui peuvent interagir entre elles [42].
  • Le nombre d’états que peut prendre chaque constituant peut être de deux ou plus. Il peut même y avoir un ensemble continu d’états [43].
  • Les réseaux peuvent être réguliers (chaque constituant est disposé régulièrement avec le même nombre de voisins) ou irréguliers (comme par exemple les réseaux sociaux) [44].
Résumé
Lorsqu’il existe des « règles de modification des règles », les règles de base peuvent être influencées par les constituants, le réseau ou les règles elles-mêmes.

Lorsque le réseau est constitué de personnes disposant d’une volonté et d’un libre arbitre, elles peuvent modifier les règles avec une intention. Mais cela pose plusieurs difficultés :
  • Les personnes doivent pouvoir comprendre quelles sont les bonnes règles locales qui donnent le résultat global attendu ;
  • Le choix effectué doit l’être suivant une véritable intention collective ;
  • Les règles choisies doivent faire converger les intérêts mais aussi prendre en compte le fait qu’il restera de toute façon des divergences.
Les règles ont parfois des particularités telles que :
  • Repousser le nombre de constituants au-delà duquel un constituant individuel ne peut plus avoir d’action globale, ou bien donner une importance particulière à certains constituants qui peuvent modifier les probabilités d’apparition d’un phénomène ;
  • Devoir prendre en compte l’ordre dans lequel s’applique les règles et également obtenir un résultat global qui n’est pas la somme des résultats des règles, mais qui peut éventuellement faire émerger des résultats globaux particuliers ;
  • Attirer le résultat global vers un ou plusieurs résultats particuliers malgré la diversité des conditions de départ (autoorganisation). Cela peut être encore vrai lorsque l’on modifie un petit peu la règle mais au-delà d’un certain seuil, la nouvelle règle peut converger vers un autre état ou au contraire ne pas converger (désordre).
Le type de réseau peut aussi structurer les résultats des règles et permettre par exemple l’émergence de structures intermédiaires qui peuvent interagir entre elles.

Quelques résultats prenant en compte les trois facettes

L’exemple de la coopération : une convergence d’intérêts

La coopération consiste à obtenir des comportements d’autoorganisation qui fassent converger les intérêts individuels et collectifs :
  • L’autoorganisation s’obtient par un choix adéquat de règles ainsi que par une diversité au niveau individuel. L’ensemble fait converger le réseau vers un résultat particulier ;
  • La convergence des intérêts dépend du choix des règles et de l’environnement qui doit « sélectionner » les intérêts convergents ;
  •  Eventuellement, il peut être intéressant de rester au-dessous d’un certain nombre de participants (qui dépend des règles) ou bien de créer des niveaux intermédiaires afin que les influences individuelles puissent agir sur le résultat global et ainsi que la volonté individuelle puisse également contribuer à la convergence des intérêts.

La maturité : quand l’ensemble des influences se stabilise

Nous avons vu que les constituants individuels influencent le réseau global. Celui-ci en retour agit sur les constituants. Mais cela se fait à un rythme en général plus lent créant ainsi trois phases :
  1. Avant l’influence des constituants sur le réseau global ;
  2. Les constituants influencent le global mais celui-ci n’a pas encore rétroagit pour sélectionner et influencer les constituants ;
  3. Le système se stabilise après les influences réciproques
Cette décomposition ressemble aux étapes de maturité que l’on rencontre par exemple chez l’homme mais également dans les groupes humains (enfance, adolescence, maturité).

Un niveau d’autoorganisation donné nécessite un certain nombre d’étapes. On ne peut faire croître que lentement l’organisation d’un réseau en changeant progressivement chaque règle (sauf dans certains cas rares appliqués dans un univers indéterministe). Mais à l’inverse, le niveau d’organisation peut décroître rapidement… [45].

Résumé
La coopération s’obtient lorsque les règles appliquées au groupe permettent l’autoorganisation, que la diversité des participants permet à ces règles d’explorer les possibles et que l’environnement facilite la cohésion du groupe.

Si un groupe (ou un « niveau intermédiaire ») reste avec un nombre raisonnable de participants, alors tous les membres peuvent avoir une influence sur le résultat global et non seulement certains membres particuliers comme par exemple le coordinateur.

L’autoorganisation progresse lentement suivant trois étapes : enfance, adolescente et maturité. Elle peut cependant retomber très rapidement…

En guise de conclusion

Ces approches sur les réseaux sont relativement jeunes. Beaucoup des concepts présentés ne sont connus que depuis quelques décennies, contrairement aux approches réductionnistes qui ne prennent pas en compte les liens entre les constituants. Cependant, le fait que ces règles s’appliquent de façon très proche dans des domaines très variés permet des progrès rapides en bénéficiant des avancées dans chaque discipline.

Du fait de leur jeunesse, ces concepts sont encore mal connus. Mais il est important que ces connaissances se diffusent. Jouer au tir à la corde sans prendre en compte la pente du terrain peu entraîner quelques déconvenues…

Références

1. Sciences de la complexité
2. Problème des trois corps de Poincaré en mécanique
3. Aveuglement paradigmatique (Edgar Morin)
4. Biologie : réductionnisme, émergentisme ou vitalisme
5. Loi des grands nombres et émergence synchronique (exemple de la mécanique statistique)
6. Théorie du Chaos (par exemple l’effet papillon en météorologie)
7. Emergence diachronique et processus évolutionnaires
8. Profondeur logique de Bennet
9. Théorie des structures dissipatives de Ilya Prigogine (par exemple la convection de Rayleigh-Bénard), néguentropie, systèmes irréversibles
10. Systèmes fermés (par exemple en thermodynamique)
11. Théorème de Gödel en mathématiques
12. Emergence, survenance
13. Morphogénèse
14. Automates cellulaires de dimension supérieure à deux de Hemmingsson, automates à temps continu de Yoshiki Kuramoto, synchronisation des oscillateurs
15. Morphogénèse
16. Causalité ascendante, niveaux mésoscopiques, symbiose
17. Automates cellulaires de dimension supérieure à deux de Hemmingsson
18. Théorie des jeux
19. Causalité descendante, sélection darwinienne
20. Symbiose, automates cellulaires de dimension supérieure à deux
21. Sélection adverse en économie, effets pervers en psychologie
22. Problème des trois corps de Poincaré en mécanique
23. Physiologie des zones parieto-frontales du cerveau
24. Exemple en linguistique : les tribus Mundurukú en Amazonie
25. Rétroaction
26. Autopoïèse : capacité d’un système çà se produire lui-même (et à se définir et maintenir lui-même)
27. Gouvernance
28. Approche dialectique
29. Théorie du chaos
30. Chimie des catalyseurs
31. Systèmes Dynamiques Non Linéaires
32. Règles non-commutatives
33. Emergence non-additive de type chimique, analyse de la variance
34. Complexité aléatoire de Kolmogorov
35. Théorie des catastrophes
36. Singularités dégénérées
37. Attracteurs
38. Bifurcation
39. Modèle darwinien de cancérogenèse de Kupiec
40. Multistationnarité, conjecture de Thomas
41. Classification des automates cellulaires : Wolfram, Hemmingsson, Kuramoto
42. Automate d’Hemmingsson, oscillateurs mésoscopiques
43. Jeu de la vie à nombre d’états variable
44. Théorie des graphes, réseaux sociaux
45. Loi de la croissance lente de Bennet

Merci à Marie-Line Eon et Arnaud Klein pour leur relecture attentive
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