Je met ci dessous un mail que j'ai reçu de Yannick Bruxelles sur le livre sur la . Outre divers commentaires que je vais essayer de reclasser dans les dfférents chapitres, elle aborde également le fait d'avoir insisté beaucoup plus sur l'aspect projet que sur l'intérêt obtenu au sein de la communauté par le lien entre les personnes (ce qui est vrai, le livre est avant tout une méthode de gestion de projet, mais il me semble très important d'aborder cet autre aspect...). Je reprendrait plus complètement cet article prochainement. --Jean-Michel

Bonjour,

J’ai eu connaissance de votre travail par Laurent Marseault et je viens de profiter de ces quelques jours de congés pour lire votre document « La coopération, nouvelles approches » (version 1.1) que vous mettez en partage sur votre site.

Pour me situer un peu : je suis enseignante, formatrice dans le domaine de l’éducation à l’environnement, je suis aussi membre du Réseau Ecole et Nature et je mène depuis plusieurs années un travail de recherche autour des partenariats et des croisements des savoirs universitaires et des savoirs associatifs.

Je me suis donc sentie particulièrement concernée par vos écrits et je me retrouve bien en de nombreux points qui sont venus soit conforter mes propres pratiques, soit les enrichir ou encore les questionner. D’autres points par contre font que je me sens en « porte à faux » et c’est ceux-ci que je vais essayer de développer davantage.

Ce que j’ai vraiment bien aimé :

  • Le fait que vous ne disiez pas que la coopération est la panacée par rapport à des méthodes plus traditionnelles mais bien que «ça dépend… », l’art consistant sans doute à savoir marier les deux enfonction des contraintes du moment
  • que vous intégriez abondamment la notion de « temps », de logiques dans le long terme, la nécessité de « préserver le passé, construire le présent et montrer un futur » (p.87), que vous souligniez avec humour que « seuls ceux qui ne font rien ont du temps !» (p.48) ,
  • qu’il est important pour le coordinateur d’être hyper réactif, que les promesses d’action retardées abaissent le seuil de passage à l’acte et donc l’implication des participants…
  • toutes vos clarifications sur la « reconnaissance » et notamment qu’elle n’a pas à être considérée comme un « dû » : j’y vois pour ma part de nombreux liens avec les questions de labellisations ou d’agréments demandés par les associations…
  • tout ce qui concerne l’évaluation et que je partage bien…
  • la question des différents modes de raisonnement en fonction des « cultures » (et pour moi, ce ne sont pas forcément les cultures desdifférents pays mais aussi celles des « mondes » différents tels quel’éducation nationale, les associations, les entreprises…)

Ce que j’y ai trouvé de « nouveau » pour moi :

  • des apports très intéressants sur ce qui favorise le « basculement » le « passage à l’acte » quant à l’engagement d’unepersonne, avec des conseils très concrets que je vais réinvestir très rapidement (même si souvent c’est ce que l’on a tendance à faireintuitivement, il est toujours bien de trouver des choses noir sur blanc)
  • des informations sur la méthode CRP d’Anatol Rapoport (Coopération, Réciprocité, Pardon) pour la gestion de conflits et que personnellement je ne connaissais pas…
  • la notion de « copyleft » (p.67), clin d’œil qui m’a beaucoup amusée ! A ce sujet, j’aimerais bien savoir d’où vient cette idée ?,est-ce votre production ?
  • la façon dissociée de se construire des outils de pilotage dans un projet coopératif : CHAPARO (p.95). Là encore, je pense que je le réutiliserai comme mode de retour de comptes-rendus ou journaux de bords évolutifs.

Des points pour lesquels je manque encore d’informations :

  • cette « logique en deux temps » des projets coopératifs (apport des bénéfices dans la durée) ?
  • cette Loi de Brooks dont vous parlez (qui dit qu’il faut éviter de faire travailler un grand nombre de personnes sur un même projet car on augmente la complexité) perçue comme négative, est-elle seulement liée au développement de logiciels ? Pour vous, elle impose que « les contributeurs soient indépendants » et ne communiquent qu’avec le coordinateur (p.76), pour ma part, j’y verrais plutôt une opportunité pour développer l’apprenance dans le cadre d’une phase d’échanges entre les participants et donc l’idée de co-construction (j’en reparlerai plus loin…). Il me semble là que vous vous intéressez davantage aux résultats qu’aux processus (et c’est sans doute pour moi lié à mon souci permanent d’éducation…)
  • pourrait-on parler de « co-propriété intellectuelle » dans un projet coopératif (alors que selon vous, c’est le coordinateur qui est « propriétaire de son projet » p.69) ?

Ce qui me pose problème… ou me laisse perplexe :

  • - des questions de vocabulaire avec des « mots » qui ne me semblent pas en harmonie avec le sujet :
    • par exemple vous parlez de « lois » de la coopération : pour moi, cela me semble un mot trop fort, chargé d’autorité, de pouvoir imposé et non discutable…, je préfèrerais le mot « principes » qui apparaît plus comme proposition pour une base de raisonnement et constitutif de quelque chose à venir
    • le coordinateur mène « son » projet (p.46), il « dispose » de personnes (p.35) qui effectuent des tâches « non critiques » ; ce sont des « contributions » demandées (le mot même de « contributeur » me semble révélateur) . Vous parlez de « supplémentarité » (p.60) (donc on additionne les savoirs, on ne les multiplie pas comme dansl’apprenance…).
  • Tout ceci pour dire que je ressens un fort décalage entre la coopération annoncée, cette économie du don décrite et les mots utilisés… Je ressens un souci constant du coordinateur de « garder la maîtrise », de ne pas vraiment « lâcher prise », de « distribuer les rôles » (p.47) et, du coup, l’ensemble me semble très calculé et au service du projet du coordinateur et non d’un projet vraiment partagé (on parle même de « laisser aux contributeurs un petit morceau de la propriété » p.42), donc cela prend un petit côté de savoir-faire un peu machiavélique (même si j’ai conscience que là, le mot que j’utilise est trop fort !) qui me met mal à l’aise. Cela me pose un vrai problème d’éthique (questions de confiance , de respect, de dépersonnalisation voire d’instrumentalisation : on dit p.59 que les personnes sont sans problème interchangeables…)
  • ceci se renforce par le fait qu’on se situe presque uniquement par rapport à des critères de rentabilité de l’économie de « biens » mais pas du tout de l’économie de « liens » donc là on retombe dans des considérations très traditionnelles, on ne parle d’ailleurs que des « modèles économiques » (p.62). Ne serait-il pas bon dans ce cadre de s’inspirer des réflexions actuelles sur le développement durable et des « autres » piliers qui au-delà de l’économie sont l’environnement, le social et le culturel comme critères de rentabilité ? (j’ai juste trouvé une petite phrase p. 65 ouvrant cette piste « Outre les bénéfices non financiers…. », mais on se situe toujours dans une économie marchande…)
  • les liens sont pris en considération mais de façon seulement marginale comme s’ils faisaient peur (p.88 et 89). Il s’agit en effet de « favoriser les rites et les références communes pour développer les liens…, mais ces liens doivent être amicaux et non opérationnels car les contributions sont directement transmises au coordinateur qui seul les intègre ». C’est, me semble-t-il encore une fois se priver de toute possibilité d’apprenance, ce que pour ma part j’appelle le « partenariat apprenant » (le 1 + 1 = 3), ce qui fait qu’ensemble on produit « plus » et du « nouveau » qu’aucun séparément n’aurait pu produire et qui ne se réduit pas à l’addition qu’en ferait de coordinateur.
  • dans le même esprit, « l’historique ne reflète que les contributions positives » (p.95) et juste les résultats obtenus par le projet : il me semble que là aussi, c’est se priver de toute possibilitéde « recul sur les pratiques », sur la façon dont on a fonctionné ensemble (le bien et le moins bien) et qui pour moi fait partie del’éducation aux pratiques coopératives (plutôt qu’un enseignement dansle cadre d’une matière à l’école comme il est dit p.113). Pour moi, ce n’est qu’en « faisant » qu’on pourra espérer diffuser ces pratiques (et les « classes coopératives » à l’école primaire l’ont bien prouvé je crois), ce n’est pas en enseignant comment faire… Pour moi encore je suis sceptique sur la « professionnalisation de la gestion de projets coopératifs » (p.113) ou tout au moins je ne peux la séparer d’une vigilance partagée du groupe par rapport à des règles de fonctionnement avec des rappels à l’ordre mutuels…
Pour finir, je vous joins un petit texte que j’ai écrit dans une autre occasion car il me semble que les projets coopératifs que vous décrivez s’inscrivent davantage dans le « faire pour » et dans le « faire avec » que dans le « faire ensemble » ??? Pour moi, les contributeurs seraient plutôt des « participants » et le coordinateur un « animateur de réseau » …(bien que le mot coordinateur ne me choque pas…).
Mais, si vous le souhaitez nous pourrons en reparler… , car bien sûr, je me situe dans le contexte qui est le mien, celui de projets éducatifs…

« Le partenariat est-il toujours et exclusivement un marché ? »

Oui, certains partenariats s’inscrivent dans une dynamique « marchande », celle du « faire pour » : il s’agit alors généralement d’un échange de savoir-faire contre de l’argent dans le cadre d’un contrat, et une fois le contrat rempli, peu ou pas de liens persistent entre les
partenaires.

D’autres formes de partenariat peuvent s’inscrire dans une dynamique de « troc », celle du « faire avec » : on y échange des biens, des savoir-faire, des contacts…, sans forcément faire intervenir de l’argent et sans obligation de liens particuliers entre les partenaires.

Dans ces deux premiers cas, il s’agit en effet d’échanges marchands (avec ou sans argent) mais relevant bien tous les deux d’une « valeur de biens », c’est l’économie qui est première et il s’agit, en cherchant à ce que les deux gagnent, de reconnaître ce que l’autre « a ». Les
relations humaines sont encastrées dans les préoccupations économiques, elles peuvent être asymétriques, voire hiérarchisées, cela ne pose pas de réel problème pour ces types de partenariats.

D’autres partenariats par contre peuvent s’inscrire dans une dynamique de « réciprocité », celle du « faire ensemble » : c’est-à-dire qu’au-delà des biens, on y recherche une « valeur de lien ». Ce partenariat là relève davantage d’une économie du don, c’est la société qui est première, le symbole du lien social étant alors plus fort que le souci économique. Ce partenariat là, qui ne fait pas qu’additionner des biens, s’inscrit dans une logique de construction partagée, de création par une combinatoire parfois étonnante (le fameux 1+1=3). Il crée des obligations mutuelles, il fait que l’on apprend ensemble, c’est le «
partenariat apprenant » qui lie donc beaucoup plus les personnes entre elles. Il s’agit alors de reconnaître ce que l’autre « est » (en tant que personne ou en tant que structure). Ce partenariat là requiert davantage la reconnaissance de l’être que la reconnaissance de l’avoir, il exige une estime mutuelle (la parité d’estime malgré les inégalités de forces). Il est forcément un partenariat « laboratoire », plein d’inattendus et de découvertes…, et ce côté expérientiel (et non expérimental car il n’a pas de protocole prédéterminé) est très souvent
lié pour ceux qui s’y engagent, à un imaginaire collectif fort (à la fois leurrant et moteur) autour d’un monde autre où il serait possible de vivre ensemble sur d’autres bases relationnelles.

Yannick BRUXELLE, 11 octobre 2003.

Répondre à cet article