Peut on agir sur la sphère monétaire pour agir sur la sphère réelle ? [3]

Il y a trois approches dans les courants économiques :
  • Pour les néoclassiques, la monnaie est un voile et les phénomènes monétaires n'ont aucun effet sur les phénomènes réels (production, demande, emploi...)
  • Pour les keynésiens, les sphères monétaires et réelles sont interdépendantes. L'Etat doit intervenir sur les phénomènes monétaires pour corriger les deséquilibres réels
  • Pour les monétaristes (dont Milton Friedman) la sphère monétaire doit refléter la sphère réelle et tout desajustement est source de déséquilibre
L'action sur le système monétaire financier
  • permet de résorber les déséquilibres réels (par l'inflation et l'endettement)
    • La création monétaire et l'endettement favorisent la demande, la consommation des ménages, les dépenses de l'Etat et les investissements des entreprises (cf trente glorieuses)
    • Une inflation modérée facilite la croissance économique en allégeant les charges des emprunteurs (en diminuant la valeur de la monnaie) et facilite le consensus social (en permettant des augmentations de salaire)
    • les interventions semblent pouvoir résorber en partie les déséquilibre extérieurs par la baisse des taux de change (devaluation compétitive) ou la baisse de l'inflation (désinflation compétitive)
  • mais ne fait souvent que les reporter et même parfois les agraver
    • L'inflation et l'endettement provoquent à terme des déséquilibres
    • La dévaluation et la désinflation ne sont des solutions qu'à court terme et peuvent même accentuer les déséquilibre à long terme
    • La forte financiarisation de l'économie incite les entreprises au placement financier plutôt qu'à l'investissement et favorise les raids financiers plutôt que les restructurations
Il semble donc que la monnaie n'a pas de valeur intrinsèque et que toute intervention ne peut être efficace qu'à court terme.

Peut-il exister d'autres possibilités d'action que l'inflation, l'endettement, la déflation ou la dévaluation ? Nous allons présenter ci-dessous l'approche de André-Jacques Holbecq [1] sur deux modes d'actions (non autorisés aujourd'hui) qu'il considère comme n'ayant pas les conséquences négatives réduisant à néant l'efficacité des corrections comme c'est le cas dans les exemples précédant : la création de monnaie ajustée à la production totale sans passer par l'emprunt et l'augmentation du taux de rotation de la monnaie par une "monnaie franche" qui perd de sa valeur au cours du temps

Influence sur l'économie des intérêts sur la monnaie

Les banques créent du crédit qui coûte des intérêts (pour ceux qui ont besoin d'argent) ou de l'épargne qui rapporte des intérêts (pour ceux qui en ont) mais il n'y a pas de rapport entre les deux (il n'est pas nécessaire que les sommes épargnées couvrent les crédits qui sont créés ex-nihilo par les banques)
  • Le système bancaire dans son ensemble crée donc ex-nihilo de la monnaie payante
  • Mais si le système bancaire crée l'argent des prêts, il ne crée pas l'argent des intérêts qui est prélevé de la sphère économique vers la sphère financière
  • voir "l'île aux naufragés" par Louis Even à propos de l'influence de l'intérêt sur la monnaie

Les flux financiers dans la sphère financière

L'argent est devenu une marchandise qui se vend et s'achète (indépendamment des autres échanges commerciaux). Les flux financiers représentent 1000 milliards d'euros par jour
  • Les échanges commerciaux ne réprésentent que 20 milliards d'euros par jour soit seulement 2% de ce montant (50 fois moins)
  • Il faudrait 40 milliards de dollards par an pour éradiquer la faim (800 millions de personnes sous alimentées), permettre l'accès à l'eau potable (1,5 milliards de personnes n'y ont pas accès), loger décemment chacun et combattre les grandes épidémies. Cela représente 0,01 % des flux financiers...

Influence sur l'économie de la masse monétaire en circulation

Production vendue et production totale

Il y a une séparation entre l'économie réelle (la production) et l'économie monétaire (la masse monétaire, les prix). Voir Jean-Baptiste Say (1803) et Johen Stuart Mill (1848).
  • La production totale est égale à la production moyenne par actif par le nombre d'actifs au travail : PT = q x Na (1-t)
    • q : production moyenne par actif au travail ; N : population ; a : pourcentage d'actifs ; t : taux de chomage (en pourcentage des actifs)
  • La production vendue est égale à la Masse monétaire par sa vitesse de rotation : PV = M x v (Irving Fisher 1984)
    • La masse monétaire M1 regroupe la monnaie scripturale (billets, pièces, paiements à vue) mais ni les comptes sur livrets, ni les avoirs des banques ni les titres négociables émis par le trésor (elle représentait 2481 milliards de francs en 2000 en France). En Europe, on considère M3 qui inclut les dépots à vue rémunérés (les livrets d'épargne) et les dépots à terme (par exemple les Sicav). Mais elle fait donc appel à une "monnaie payante" crée ex-nihilo par les banques.
    • La vitesse de rotation est le nombre de circuits que réalise la monnaie en un an. Elle a été de 3,7 en France en 2000.
  • Si toute la production est vendue (et que la balance extérieure est nulle), on a PV = PT ou encore M x v = q x Na (1-t)
Les monétaristes dont Milton Friedman pensent que la monnaie n'a pas d'influence durable sur la production, mais que la quantité de monnaie détermine le niveau général des prix et son taux de croissance détermine le taux d'inflation. Pour cela les monétariste cherchent à éviter une hausse excessive de la masse monétaire pour éviter l'inflation [3]. Mais une trop faible masse monétaire provoque une augmentation du taux de chomage et donc a un impact sur l'économie réelle. Cela a été constaté en 1979 lors de la mise en place d'une politique monétaire restrictive aux Etats-Unis qui a permis une désinflation avec une augmentation rapide des taux d'intérêts mais aussi du chomage.

Le taux de chomage dépend du manque de masse monétaire

  • Si la masse monétaire est trop basse, le chomage augmente car toute la production ne peut être vendue : PV < PT
    • les magasins sont pleins mais les porte monnaies sont vides... pour éviter les invendus il faut baisser la production et donc mettre du monde au chomage
    • pour faire en sorte que toute la production soit vendue (PV = PT) il faut alors un taux de chomage plus élevé : t = 1 - (M x v)/(q x Na)
  • Si par contre la masse monétaire est trop grande (on a trop fait marché la "planche à billet"), on crée de l'inflation et les prix augmentent
La monnaie n'est donc pas neutre et doit suivre l'augmentation ou la diminution de la production pour permettre de l'acheter
  • La monnaie ne peut être neutre que si elle existe en quantité suffisante pour permettre de réaliser les échanges.

Quelques moyens d'action

La production vendue et la production totale doivent pouvoir s'équilibrer.

Actions sur la production totale (PT = q x Na (1-t))

Si on laisse la production totale s'ajuster sans changer la production vendue
  • Si la production totale est trop faibe, la production vendue ne peut être supérieure à la production totale.
    1. On a alors de l'inflation (masse monétaire trop importante)
  • Si la production totale est trop forte, on a deux possibilités :
    1. une augmentation sans fin du chomage (cette augmentation fait baisser la production totale mais la masse monétaire utile pour les échanges économiques diminue toujours du fait des intérêts monétaires et donc la production vendue continue de baisser nécessitant de nouvelles baisses de la production totale par l'augmentation du taux de chomage)
    2. une une inflation des prix (Si on veut garder bas le taux de chomage, la production totale reste forte. Il faut compenser le manque à gagner de la production non vendue par une augmentation des prix )
On peut difficilement jouer sur les autres facteurs en baissant la productivité (...) ou en diminuant le nombre d'actifs (en augmentant par exemple la somme des retraites à payer...)

Actions sur la production vendue (PV = M x v)

Il y a deux façon de jouer sur la production vendue : la masse monétaire et la vitesse de rotation de la monnaie
Ajustement de la masse monétaire et endettement
Pour être ajustée, la masse monétaire doit prendre en compte :
  • La production totale (pour permettre de l'acheter en totalité) qui dépend elle-même du taux de chomage et de la productivité moyenne
    • Il y a cependant un taux de chomage plancher (estimé à 2% par les économistes) et une capacité improductive des équipement inemployés
  • La part de la masse monétaire qui est tranférée du monde économique à la sphère financière pour payer l'intérêt de la "monnaie payante" produite par le système bancaire
Pour ajuster la masse monétaire il existe deux possibilités traditionnelles
  1. soit l'Etat s'endette et augmente le déficit budgétaire car il doit emprunter au marché. Mais il augmente ainsi les intérêts à payer (en France les intérêts représentaient 256 milliards de francs en 2000 soit la même somme que la masse monétaire manquante pour assurer le plein emploi !)
  2. soit le déficit extérieur augmente permettant à la production achetée (nationale et internationale) d'être supérieure à la production totale.
Les solutions proposées (déficit budgétaire ou extérieur, augmentation du chomage ou inflation) présentent de nombreux inconvénients.
Il existe cependant deux autres solutions à étudier :
  1. La création de monnaie par l'état pour augmenter la masse monétaire sans s'endetter (à condition bien sûr que la planche à billet suive correctement la production totale pour éviter l'inflation)
  2. L'augmentation du taux de rotation de la monnaie pour augmenter la production vendue à masse monétaire égale (théorie de Gesell)
Création de monnaie par l'Etat ou par l'endettement de l'Etat ?
Les Etats ont abdiqués leur droit de créer de la monnaie et doivent "emprunter" au marché.
Par ailleurs les taux de change des monnaies ne sont plus influencés que de façon marginale par les échanges économiques, les spéculations financières présentant des montants 50 fois plus importants.

La banque centrale ne peut plus intervenir directement dans la création monétaire qui, pour l'essentiel, résulte de crédits accordés par les banques commerciales à leurs clients. Mais elle peut l'orienter en intervenant sur le marché monétaire : en offrant peu de liquidité aux banques et à des taux d'intérêts élevés, la banque centrale les oblige à limiter leurs prêts à leurs clients et donc à limiter la création monétaire (politique de l'Open Market). La banque centrale fixe donc des objectifs de croissance et intervient quotidiennement sur le marché monétaire mais ne crée pas directement de monnaie qui pourrait équilibrer la production vendue sans endettement (sans passer par les banques).
Par ailleurs les banques interviennent sur M3 (y compris les dépots à vie et à terme) ne faisant plus de distinction entre la monnaie scripturale et la monnaie payante créée par le système bancaire. Par ailleurs, depuis la seconde moitié des années 80, la multiplication des produits financiers a supprimé la frontière entre la monnaie (ce qui est liquide) et l'épargne (ce qui est immobilisé). A cause de tout cela, les banques centrales ont renoncé peu à peu à leur volonté de controler la masse monétaire.
Augmentation du taux de rotation : la "monnaie franche"
Silvio Gesell propose une monnaie franche qui perd de sa valeur en fonction du temps. En fait ce n'est pas une monnaie car il n'y a pas d'intéret à la thésauriser. L'avantage de l'argent classique par rapport à la marchandise vient du fait que la marchandise perd de sa valeur avec le temps tandis que l'argent conserve la sienne. Dans le cas de la "monnaie franche" l'argent également perd de sa valeur.
  • Des coupons perdent 1% de leur valeur à date mensuelle fixe. On compense la perte par un timbre de 1% collé au dos du billet pour qu'il puisse circuler
  • Cela permet d'augmenter le taux de rotation de la monnaie d'un facteur 4 à un facteur 8
  • Keynes dans "la théorie générale d'emploi, intérêt et argent" (Londres 1936) écrit : "le futur apprendrait plus de l'esprit de Gesell que celui de Marx"
Une association "franchiste" se créa en Allemagne en 1919. Il y a eu 20 cas d'utilisation dont trois en France (Lignières en Berry en 1956, Marance en 1957-58...) mais aussi Schwanenkirchen (Allemagne 1930-31), Wôrgl (Autriche 1932-33) ou Porto Alegre (Bresil 1958). Dans tous ces cas, ils ont permis des grandes métamophoses alors que sévissait de graves crises économiques.
Les expériences ont été interdites par les banques ou les états...

[1] source André-Jacques Holbecq "un regard citoyen sur l'économie" éditions Yves Michel - site de recherche et de travail collectif : http://www.societalism.org/tiki/
[2] Silvio Gesell, "l'ordre économique naturel" éditions Uromant, Bruxelles 1918
[3] D Chamblay, M Montoussé, G Renouard "50 fiches pour comprendre les débats économiques actuels" Ed Bréal 2ème édition 1999

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