20/01/01
: Afrik.com : Vous dites que l'outil Internet est très
adapté à l'Afrique. Pourquoi ? Jean-Michel
Cornu : Pour moi, les Américains, en inventant Internet,
ont inventé un outil " africain ". Même s'il y a encore de
gros problèmes, c'est l'outil le plus adapté à l'Afrique, non pas
pour toucher tout le monde, mais pour que tout le monde soit touché.
Si l'on prend les chiffres du nombre de connectés en Afrique et
qu'on les compare à ceux de l'Europe, ils ne souffrent pas la
comparaison. Mais il faut raisonner d'une autre façon. En Afrique,
un ordinateur bénéficie à tout un village. C'est comme pour les
téléphones. Dans les capitales et les villes secondaires, on trouve
des " Internet Shops ", copiés sur les " Telephone
Shops ". Tout le monde n'a pas Internet, mais l'important c'est
le travail de " dissémination ". On doit voir ce que
l'Internet a apporté à l'Afrique et ne pas compter les gens qui ont
Internet.
L'économie africaine, faite de débrouillardise et
d'échanges, fonctionne en réseaux, comme l'Internet. C'est l'un des
avantages structurels du continent. J'ai formé des gens sur place à
la création de sites Internet : il y a une très forte demande
et une incroyable efficacité. Les gens bricolent les ordinateurs,
comme ils bricolent les voitures. Il faut une technologie comme
celle-là, suffisament ouverte, pour que les gens puissent échanger
leur savoir-faire.
Afrik.com : Pourtant Internet en
Afrique n'est pas encore très développé… J-M.
C. : A l'ère de la société de l'information, les règles ont
changé. On peut très bien imaginer les Sahraouis donner leurs
propres informations, avec une seule connexion et un hébergement
gratuit. L'Afrique doit devenir autosuffisante en production de
contenu interne. Selon moi, elle peut exporter autant d'informations
qu'elle en reçoit et sur le plan culturel, elle peut en exporter
plus qu'elle en importe. Je suis persuadé que demain, l'Afrique sera
une grosse exportatrice de contenu. On peut prendre l'exemple de la
musique : vous n'imaginez pas le nombre de sites d'artistes
africains. C'est une grande révolution, car connus dans leur pays,
mais ignorés par les majors occidentales, ils peuvent se servir
d'Internet pour percer internationalement.
Afrik.com :
Quels sont selon vous, les futurs voies de développement d'Internet
en Afrique et les projets pour le continent ? J-M.
C. : Rien ne sert de faire des statistiques, il faut faire
des choses utiles. Le satellite américain World Space
diffuse sur radios numériques - des petits postes dotés d'antennes
de 13 cm2. Worldspace permet de recevoir les radios numériques et
met aussi à disposition des canaux de données. Il suffit de brancher
un PC sur le poste de radio pour se connecter. Demain, ces données
seront rediffusées par les radios locales en langues véhiculaires,
pour toucher tout le monde.
L' ACMAD (Advanced center of meteorological
applications for development), basé à Niamey au Niger, met en place
des programmes d'évaluation météo, pour les saisons des pluies par
exemple. Depuis deux ans, il arrive à donner une bonne estimation à
long terme. L'objectif est de diffuser l'information, même aux
paysans les plus isolés. Grâce aux radios numériques, c'est
possible.
Pareil pour le projet Ranet, auquel participe
l'ACMAD. Première étape : aider les gens à fonder des radios
rurales et utiliser un canal numérique ( African learning
chanel). Ensuite, diffuser des contenus météorologiques et tout
ce qui touche au développement. On fait partir les informations d'un
site Internet créé localement et on les envoie par satellite pour
une diffusion locale. On peut imaginer également de diffuser du
contenu pédagogique mis à jour régulièrement, sur un PC portable à
batteries solaires. Pour cela il faudrait viser les rectorats, qui
retransmettraient les informations aux écoles de leur région.
Afrik.com : Quels sont les problèmes qui se posent à une
telle technologie ? J-M. C. : Par satellite,
nous n'avons pas pour l'instant de voie de retour. Des projets sont
en cours pour avoir la même antenne satellite pour l'aller et le
retour. Et puis, il y a le coût : une radio World Space coûte
environ 2 000 FF. On peut mutualiser au niveau de la région et même
au niveau des villages, mais pour l'instant tout cela est à l'état
embryonnaire. L'important n'est pas que tout le monde ait Internet,
mais qu'il y ait le plus grand nombre qui en ait connaissance.
L'autre problème, plus général, est l'état des télécoms en Afrique
souvent très mauvais. Nous attendons des solutions alternatives.
Consultant indépendant depuis 1988, Jean-Michel
Cornu est directeur scientifique de la Fondation Internet
nouvelle génération ( FING), président de la table ronde européenne
"Internet usage and network co-operation", membre de l'Internet
Engineering Task Force (IETF) et fondateur du Groupe Français pour
la participation à la Standardisation de l'Internet (GFSI). Il a mis
en place, et anime, de nombreux réseaux de coopération.
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