Plusieurs notions :


les différents réalismes d'après un article de Jean-Paul Baquiast

in Jean-Paul Baquiast, "Les philosophes et les nouveaux visages de la physique - Deuxième partie. La mécanique quantique. La conscience est-elle un objet? " http://www.automatesintelligents.com/echanges/2003/oct/philo2.html

le réalisme, postulant qu'il existe des objets, une nature, indépendants de l'observateur, n'est pas une doctrine unique. Il a pris plusieurs formes. Les définitions et les nuances relatives au réalisme sont nombreuses(2). Nous n'en retiendrons que trois :
  • Le réalisme des essences ou ontologique ou de l'être en-soi selon lequel à chaque objet identifié dans la nature correspond une entité idéale à laquelle en principe on ne peut accéder mais vers laquelle on peut tendre par la démarche scientifique. Ce type de réalisme est généralement abandonné aujourd'hui, du moins par les matérialistes. Bernard d'Espagnat (op.cit.) s'est cependant efforcé d'en sauver l'essentiel en postulant l'existence d'un réel certes inconnaissable, mais dont pourtant l'expérimentateur doit reconnaître la présence, ne fut-ce que parce que les expériences visant à valider ses hypothèses se heurtent à des résultats précis sur le mode oui ou non. Ceci révèlerait bien le fait qu'il y a quelque chose de " dur " derrière les apparences sensibles et non un simple univers aléatoire. C'est ce qu'il a nommé le " réel voilé ". Mais ce concept ne s'est pas diffusé, pour la raison qu'il n'a guère d'intérêt pratique. Le réel voilé demeure en effet, pour lui, non susceptible d'approche expérimentale quelle qu'elle soit.
    Aujourd'hui pourtant, on tend à considérer que l'esprit humain a été ainsi façonné par les nécessités de la survie au cours de l'évolution qu'il ne peut procéder à l'indispensable activité exploratoire sans se donner un but lointain à atteindre. Les scientifiques seraient encore soumis à ce conditionnement génétique. Ils ne rechercheraient plus rien s'ils ne se persuadaient pas qu'il y a quelque chose de "dur" à découvrir. Nous reviendrons sur ce point important ultérieurement. Pourtant, on peut penser que la science ne perdrait pas son dynamisme si elle se persuadait, non qu'elle va à la découverte de quelque chose de préexistant, mais qu'elle crée ce quelque chose, qu'elle le construit (approche constructible) par le jeu de sa seule activité exploratoire (voir ci-dessous, in fine).
  • Le réalisme empirique selon lequel on ne prend en considération que les objets tels qu'ils nous apparaissent à travers nos sens. On s'efforce de les décrire aussi précisément et objectivement que possible, mais on ne prétend pas accéder à leur être en soi. Cette description, dans la démarche scientifique traditionnelle, est considérée nous l'avons dit comme d'autant plus précise et objective que l'observateur ne s'y implique pas. Les propositions (telle la loi de la chute des corps de Newton) ne doivent pas dépendre de l'observateur, mais être valables pour tous. On parlera aussi d'un réalisme à objectivité forte (d'Espagnat, op.cit.). Le réalisme empirique prend la forme d'un réalisme instrumental ou scientifique lorsque les observations et propositions auxquelles on procède sont généralement reconnues, par la communauté des scientifiques, au moment considéré, comme représentant un consensus momentanément acceptable, à partir duquel dériveront de nouvelles hypothèses puis de nouvelles expériences.
    La plupart des scientifiques qui s'en tiennent par raison au réalisme instrumental ne peuvent sans doute pas s'empêcher de rêver, nous l'avons dit, à une nature en soi dont ils se rapprocheraient progressivement. Mais peu importe, les humains auxquels la science s'adresse n'étant pas des essences mais des réalités matérielles ont jusqu'à ces dernières années constaté que le réalisme instrumental tel que défini dans ce paragraphe offre un cadre philosophique suffisant.
  • Le réalisme à objectivité faible qui est celui de la physique quantique : tel observateur a observé tel phénomène dans telles conditions. On ne peut en dire plus du réel sauf à travers des opérateurs (par exemple la fonction d'onde) mais ceux-ci ne fournissent que les résultats statistiques provenant d'un grand nombre d'observations. On connaît les grands concepts de la mécanique quantique servant à "décrire" la nature : la non-détermination, la superposition d'état, la non-séparabilité, l'enchevêtrement (entanglement). Il en résulte que l'observateur ne peut être séparé de l'observation. Comme ses instruments, il fait partie de l'énoncé. Les physiciens quantiques s'en tiennent généralement là et ne formulent pas d'énoncés prétendant s'appliquer plus précisément aux systèmes observés. Mais très souvent, ils tendent à retomber dans les habitudes du réalisme à objectivité forte. C'est-à-dire qu'ils parlent couramment des particules, des champs, du vide, du Big Bang, de l'espace-temps, comme s'il s'agissait de réalités ultimes de la nature. Le grand public s'y trompe et des philosophies (par exemple l'indéterminisme appliqué au monde macroscopique) reposant sur des bases inexactes se développent dans la société et peuvent conduire celle-ci à des erreurs graves d'interprétation et de comportement.(2) Lire notamment Michel Bitbol, L'aveuglante proximité du réel, Flammarion, 1998
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