Jean-Michel Guitaud est arrivé au Chinois à travers son intérêt pour Jacques . Il a depuis énormément travaillé sur la culture chinoise et traduits divers ouvrages.
J'ai replacé à plusieurs endroits des liens par rapports à certains de mes travaux pour tenter de voir les "connexions" par rapport à mes propres centres d'intérêts.

Le chinois, une Approche Constructiviste du monde

La langue hébraïque n'écrit que les consonnes et chacun peut y mettre les voyelles qu'il veut pouvant donner plusieurs sens. Ainsi "Dieu est content".
De même, dans la langue chinoise, chaque caratère idéogramique inclus un lapsus (alors qu'en occident le lapsus se dit mais ne s'écrit pas). Tous les mots sont monosyllabiques. Ainsi, il y a par exemple beaucoup de caractères pour "Yi". Chaque signe garde en "mémoire" qu'il est le produit d'une erreur. En fait, on peut voir tous les caractères comme autant de noms propres. On retrouve aujourd'hui cela dans la fabrication de nouveaux caractères par les personnes pour écrire leur nom propre (ce qui pose des difficultés pour les jeux de caractères informatisés...). Chaque nouveau caractère est une nouvelle façon de voir, un nouveau réel. Mais malheureusement aujourd'hui, on ne crée plus de nouveaux caractères chinois sauf pour les noms propres...
1. Si « on peut voir tous les caractères comme autant de noms propres », c’est parce que le lapsus (ou ses variantes : « l’acte manqué », etc.) est la marque d’une identité particulière : c’est quelque Un (quelqu’un). Jusqu’au XXe siècle, les documents (journaux, pages volantes, etc.) découverts par des paysans fussent-ils illettrés étaient respectueusement enterrés … Quand on parle de « culte des ancêtres » ou de « piété filaile » à propos de la Chine, il ne faut jamais oublier cette dimension. --Jean-Michel Guitaud
2. Justement, à propos du Un : comment ça se dit et s’écrit en Chine, ce Un ? Ça se prononce yi et ça s’écrit d’un seul trait horizontal : ─. C’est cette dimension du trait qui importe, puisque dans l’écriture chinoise c’est lui qui relie le radical et l’élément phonétique dans un caractère, qui sont précisément incompatibles sur le plan de notre imaginaire collectif sauf à recourir à des figurations mythologiques ou légendaires. On voit donc que ce yi n’est pas tout à fait la même chose que notre un occidental. Et on comprend mieux la relative minceur de la tradition mythologique dans les écrits chinois. --Jean-Michel Guitaud
3. Il y a un autre yi, qui ne s’écrit pas du tout de la même façon, qui veut dire à la fois « signification » et « justice », d’où il faut conclure qu’il ne s’agit en Chine ni de notre « signification » ni de notre « justice ». Une fois pour toutes, la signification porte sur un sujet, non sur un objet. --Jean-Michel Guitaud

Un mot comprend en général un radical (Yang) et un caractère pour la phonétique (Yin, la sonorité, le coté caché). Il existe également un troisième élément : la forme (la caligraphie). Le texte est fait pour être lu et joue avec les coïncidences...

Immédiateté et abondance de significations pour "sortir du discours" et créer de nouvelles approches

  • On peut décrire l'occident comme le royaume du désir et du sens. On se positionne avant (le désir) et dans le sens (la direction, le sens de l'ensemble du discours)
  • A l'inverse, la Chine est le royaume de la jouissance (maintenant) et de la signification (immédiateté et significations des briques élémentaires). Par exemple les rouleaux chinois sont horizontaux, ils ne sont pas fait pour être déroulés entièrement mais pour faire apparaitre une partie du texte ou du dessin à un moment donné.

On peut voir dans l'approche occidentale basée sur le sens, une orientation vers la rareté (un seul réel, recherche d'un seul sens non ambigu) alors que l'approche chinoise est basée sur les lapsus et les multiples significations qui construisent une abondance de possibles (voir l'opposition rareté/abondance dans mes livres "", en particulier l'introduction du Tome 2

Le mot Tao d'ailleurs ne veut pas dire discours comme il est trop souvent traduit, mais parole (dans le même sens que le "souffle" - le Qi - ou le verbe des hébreux). On retrouve ce lapsus en français entre "la voie" et "la voix"
  • L'objet du discours est rare (les différentes étapes pour constituer un chemin unique : une voie que l'on suit)
  • L'objet de la voix est abondant (chaque nouveau son, chaque nouvelle combinaison crée une nouvelle voie)
On retrouve également cette confusion dans le logos des chrétiens, le verbe qui est compris comme le "discours" plutôt que comme "la parole".
4. Le mot Dao n’est jamais traduit par « discours » ( ? ) mais par « Voie ». Par exemple l’ouvrage de Laozi (Lao-tseu) le Daode jing (Tao-tö king), est régulièrement rendu par Le Livre de la Voie et de la Vertu. Or daode a le sens commun de « morale, éthique » , et je ne vois pas pourquoi l’expression n’aurait pas ce sens chez Laozi. L’intéressant c’est que littéralement daode veut dire « puissance [de] » (au sens de potentialité) de la « parole [dao] ». Attention, la parole et la voix ce n’est pas tout à fait pareil, quand même ! --Jean-Michel Guitaud

Atteindre d'autres "possibles" pour voir l'invisible

Lacan parle de "signifiant maître" pour un mot qui a un sens et un seul. Le roi ou l'empereur est la vérité absolue en chine, le "signifiant maître". A l'inverse, les confucéens sont des poêtes ou mieux des fous du roi "ce que je vous dit peut aussi dire cela...". L'objectif des lettrés confucéens est d'ouvrir de nouveaux possibles pour ne pas rester dans une "voie" unique. Ils représentent le coté féminin par rapport au souverain. Les lettrés ne pouvaient pas parler de la politique, ils ont donc inventé la linguistique...
5. Le lettré confucéen ne dit pas au souverain « ce que je vous dis peut aussi dire cela », mais « ce que vous dites peut aussi dire cela », encore que ce n’est pas exactement ainsi qu’il s’exprimerait. Il s’agit de révéler au souverain qu’il en dit, qu’il en sait bien plus que ce qu’il croit dire et savoir -- comme tout un chacun d’ailleurs. C’est par là que le lettré manifeste son respect -- et pas seulement envers le souverain, soit dit en passant. --Jean-Michel Guitaud

Si on "voit" (jeu de mot ;-) le Tao comme la "voie", on reste "au fond de la vallée. En le voyant comme la "voix" il est alors possible de franchir les montagnes et d'atteindre les autres vallées. On trouve ici les multiples possibles (les différentes vallées) et la façon de les atteindre plutôt que de rester prisionnier au fond d'une des vallées. On découvre des passes au travers de la montagne pour atteindre les autres vallées (Goan ?). (on retrouve de même "l'effet tunnel" en physique où on peut passer d'un équilibre à l'autre sans "passage" entre les deux).
6. Le processus de socialisation n’implique pas nécessairemnt de « choisir un des possibles », et la Chine classique en est la meilleure illustration. Le confucianisme a été au début de l’empire proprement dit l’adversaire résolu du légisme, tentation première et récurrente des apprentis autocrates, et ce justement parce que la loi est univoque et de ce fait génératrice de désordre au nom de l’ordre. En effet, la perversion inhérente à la loi réside en ceci qu’elle incite à sa propre transgression, laquelle éloigne de soi (voir le point 3), en aliénant et désorientant le désir. Naturellement la socialisation chinoise suppose une écriture non univoque, et une communauté lettrée : les illettrés avaient affaire au Ministère non pas de la Justice mais des Châtiments, ce qui n’est pas pareil ! Mais il existait surtout un Ministère des Rites … --Jean-Michel Guitaud
7. Une suggestion : le rite (par opposition à la loi) comme gestuelle des « lapsus » pour combattre l’oubli et le refoulement… Après tout la calligraphie est un rite ! --Jean-Michel Guitaud

Les peintures des lettrés confucéens est intéressante de ce point de vue. Elle présentent par exemple une montagne sous tous ses aspects, y compris la face cachée. (On retrouve la même recherche dans la période de Picasso ou il cherchait à peindre un visage de face et de profil en même temps)

De même dans le Zen, les Koans (poèmes courts ayant un aspect absurde) permet "l'interruption du discours". La parole alors reprend de l'importance et l'invisible (le Yin) devient visible. Le Zen ne s'est pas imposé en Inde où il est né mais est arrivé au Tibet et en Chine où il a pû se développer.

On retrouve également cette notion de "passe" chez Lacan. Ceux qui ont été au bout d'une analyse lacaniène "sortent du cadre". Ensuite ils ne peuvent plus s'en passer et deviennent ... analystes pour continuer cette expérience. C'est aussi cette "sortie du cadre" que l'on retrouve dans certains rites sorciers.

Tant que l'on, n'est pas sorti du cadre, les autres réels sont invisibles comme dans la caverne de Platon. Mais pour les Confucéens, la caverne est la bouche, on n'y habite pas (contrairement aux Dieux taoistes qui habitent dans des grottes).

Puis revenir au réel

Mais l'expériences chez les confucéens doit créer du lien social, contrairement aux ermites taoistes qui se contentent de sortir du cadre mais s'isolent de la société et de ce point de vue ne vont pas jusqu'au bout du processus de création. Celle-ci necessite non seulement de "sortir du cadre" pour découyvrir d'autres vallées mais aussi d'appliquer le tout ensuite à la société pour ne pas rester que dans le virtuel. Mais cette deuxième étape nécessite de choisir un des possibles. C'est toute la tragédie grecque qui est basée sur le fait qu'une fois que l'on a choisi on perd les autres possibilités.

(on retrouve ces deux étapes "ouvrir les possibles" puis "re-rentrer dans la réalité" qui seront décrits dans mon prochain livre "demain(s)")


Quelques différences d'approches entre la Chine et l'occident

C'est peut être du fait de cette approche par la signification plutôt que par le sens que la Chine a inventé la technologie mais pas la science. Il ne s'agit pas de construire un discours unique pour "découvrir le réel" mais au contraire d'ouvrir une multiplicité de possibles. Pourtant la science a découvert récemment qu'il pouvait avoir plusieurs réels possibles : Goëdel a pu le démontrer en montrant que tout théorème peut être vu comme un un nombre constitué d'une suite de chiffres, un peu comme si chaquie théorè-me avait son nom propore. Un idéogramme est exactement la même chose : une suite de signes qui constituent un nom propre.

La vision du temps est également différente : Contrairements aux Eres chrétiennes ou musulmanes qui partent d'une seule origine pour compter les années, les Eres dynastiques chinoises repartent à zéro à chaque dysnatie. Comme des cycles qui recommencent à chaque fois.

Au temps de Louis XIV, il y avait autant de fonctionnaires en France que pour toute la Chine. Comment dans ces conditions avoir pu garder la cohésion ? Par un vision inverse des choses : l'état ne fixe pas tout le fonctionnement du pays mais intervient uniquement là où il y a un problème. L'approche est la même que pour le médecin qui a pour rôle en Chine non pas de soigner mais de faire en sorte qu'on ne soit pas malade (il est payé d'ailleurs uniquement lorsqu'on va bien). En Chine, il n'y a pas de loi (associées au "désir" - a la projection vers le futur - selon Lacan) mais des règles qui font que l'ensemble va dans le bon sens (On commence à retrouver ces notions en occident avec l'émergence de l'idée de "gouvernance" par rapport à la simple réglementation : voir "" Tome 2, sixième partie : de la régulation à la gouvernance)


Quelques exemples d'approches différente par les éléments en dehors de la Chine

Un petit jeu très orienté "signification" sur la langue anglaise (mais utilisant la prononciation plutôt que les caractères comme dans le chinois):
Commence se prononce le mot "Ghoti" ?
réponse : "fish" car "gh" se prononce "f" comme dans "enough", "o" se prononce "i" comme dans "women" et "ti" se prononce "sh" comme dans "station"
(cette petite blague qui m'a été racontée par un neerlandais n'a pas du tout été appréciée par un américain a qui je l'avais présentée...)

Un autre exemple est donné par Juan Salvador, un membre de la télévisions associative Teletambores à Mracay au Vénézuela qui, après avoir été formé quelques instant au Wiki, l'a utilisé de façon très différente que pour la mise en ligne d'un discours (contrairement à moi sur cette page ;-) http://www.nib-jiq.org/wakka.php?wiki=JuanSalvador
A voir dans le même style, ce que Paola Gomez une artiste de MAVI à Kali en Colombie a fait sur sa page après avoir également formée rapidement au Wiki http://www.nib-jiq.org/wakka.php?wiki=PaolaGomez (le formateur, Frédéric Poitiers s'est également pris au jeu en répondant sur sa page...)

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