Paradoxe : Qui de la poule et de l'oeuf...

Sur un coin de zinc, deux philosophes éméchés discutent pour savoir qui de la poule et de l'oeuf est arrivé le premier. "C'est la poule évidemment, dit le premier, sinon qui aurait pondu l'oeuf ?". "Bien sûr que non, rétorque le deuxième, la poule est bien arrivée en sortant d'un oeuf !"

A quelques pas de là, dans une société et chez des financeurs publics de Recherche et Développement, un débat s'instaure pour savoir si un projet doit être lancé ou non. Cela est indispensable pour assigner au projet un budget qui lui permettra de vivre. Pourtant, nous sommes là dans une logique a priori : Comment être sûr que le projet que nous finançons sera viable avant de l'avoir lancé ? Comment savoir si tel projet qui nous semble moins bon a priori, ne sera pas rejeté alors qu'il aurait provoqué une véritable avancée ou même une révolution ?

Une des particularités des projets menés par des êtres humains est qu'ils sont imprévisibles comme ceux qui les mènent. Tel projet qui semble avoir eu toutes les fées penchées sur son berceau échouera à la suite d'une démotivation générale ou de conflits non résolus. Tel autre qui semblait voué à l'échec, finira par se réorienter et attirera de nombreuses nouvelles idées. Pour qu'un projet réussisse, avant même d'avoir une bonne idée au départ, il faut qu'il survive dans la durée et qu'il sache saisir toutes les bonnes idées autour de lui.

Supprimons la poule et l'oeuf du départ et mettons quelque chose d'autre à la place...

Encore une fois, pour sortir de notre paradoxe, nous devons adopter une approche nouvelle et briser une contrainte apparemment incontournable : Un projet n'a plus besoin d'être évalué a priori par des personnes extérieures s'il n'a pas besoin d'argent, du moins au départ.

Cela signifie qu'au départ de la poule et de l'oeuf, il n'y avait ni poule ni oeuf mais quelque chose de différent. En d'autres termes, pour sortir du paradoxe, il nous faut ajouter une phase préliminaire avec des règles différentes qui permettent aux projets de démarrer.

S'il est possible de démarrer un projet sans ressources supplémentaires, alors de nombreux projets pourront émerger, certains se développeront tandis que d'autre péricliterons.

Les limites des projets coopératifs

les règles énoncées nous donnent les limites de projets entièrement coopératifs :

  • Si un projet a impérativement besoin d'un soutien extérieur au départ (ce qui est moins fréquent qu'on ne le pense dans le cas des biens immatériels et de la connaissance), alors il vaut mieux adopter une démarche traditionnelle.
  • Si un projet en particulier n'a pas le droit à l'échec et que l'on attend un résultat précis dans un laps de temps déterminé, il vaut mieux également se rabattre sur une gestion de projet traditionnelle (Bien qu'il ne puisse y avoir aucune garantie absolue de réussite d'un projet.)
  • Si, par contre, l'objectif est d'obtenir un maximum de résultats utiles, même s'ils n'étaient pas prévus au départ, et si aucun projet en lui-même est critique, alors favoriser de nombreux projets coopératifs donnera des résultats bien supérieurs.
Exemple : Le cas Linux

Lorsque Linus Torvald, un jeune finlandais, a commencé à proposer son système d'exploitation (un logiciel de base sur lequel repose le fonctionnement de tout l'ordinateur), il n'a pas eu besoin de convaincre des financeurs extérieurs car il disposait des ressources minimums pour mettre en place son projet. Comme étudiant, il avait déjà du résoudre ses propres besoins matériels. Les ordinateurs et le temps lui ont été fournis dans le cadre de sa scolarité. Quant aux multiples contributeurs qui se sont rapidement joints au projet, ils disposaient de pas mal de temps libre et d'un ordinateur ou bien l'intérêt du programme développé était tel pour leur entreprise, qu'en participant au projet ils mutualisaient des efforts qui autrement auraient coûté beaucoup plus cher à chaque société prise individuellement.

Il restait tout de même un gros morceau : Un système d'exploitation est un système complexe, et il faut pas mal de temps pour en faire une première version qui peut ensuite être améliorée par les autres. A ses débuts, le système d'exploitation appelé Unix était livré avec son code source (sa description dans un langage compréhensible par un être humain). Cela permettait aux professeurs des universités d'expliquer le fonctionnement d'un tel logiciel sur un exemple complet et réel. Lorsque AT&T, le propriétaire d'Unix décida de ne fournir plus que le code objet (celui qu'utilise effectivement la machine) et de protéger légalement le code source par un copyright, les professeurs n'avaient plus de support pour leurs cours. Le professeur Andrew S. Tanembaum décida de redévelopper un petit système minimal avec ses élèves : Minix. Celui-ci fut même développé avec des concepts plus modernes. Il fut présenté avec le code source intégral dans un livre pour permettre à tous de l'utiliser [TAN]. Il suffisait à Linus Torvald de récupérer Minix, d'y ajouter des fonctionnalités supplémentaires pour en faire un système plus opérationnel et de le soumettre sur Internet pour inciter les développeurs du monde entier à l'améliorer. Il a su y ajouter son génie de la coordination de projets coopératifs.

Première règle : Le porteur de projet doit disposer d'une sécurité matérielle suffisante

Un des premiers coûts dans un projet est le temps passé par les personnes. La disponibilité du porteur du projet est le premier point incontournable. Si celui-ci dispose d'une relative sécurité matérielle, il peut alors se lancer dans son projet soit dans le cadre d'une activité supplémentaire bénévole, soit dans le cadre de son travail ou de ses études.

Bien sûr, le coordinateur ne se lancera que s'il pense que son projet lui apportera de nombreux avantages que nous détaillerons au chapitre sur les motivations et celui sur les modèles économiques. Aux dernières nouvelles Linus Torvald possède un poste confortable dans une entreprise et la notoriété acquise grâce à son projet Linux lui apporte reconnaissance et crédibilité.

Il est également nécessaire que les contributeurs aient aussi une sécurité minimale. Mais il est plus facile de trouver sur l'ensemble de la planète des personnes qui ont un temps suffisant à consacrer à un projet s'ils sont motivés que d'assurer sa propre sécurité matérielle lorsque l'on souhaite monter son projet.

Deuxième règle : Réutilisez ce qui existe pour disposer rapidement d'une base suffisante

Comme nous le verrons, le temps du coordinateur est principalement consacré à trouver de nouveaux contributeurs, communiquer avec la communauté existante et intégrer les corrections et améliorations soumises.

Mais le projet motive d'autant plus des contributeurs qu'il est déjà suffisamment avancé pour y prendre du plaisir. Durant toute la vie du projet et plus encore pendant la phase de démarrage, le coordinateur doit saisir toutes les opportunités pour réutiliser ce qui existe déjà et donner ainsi plus d'ampleur à son projet.

Troisième règle : Les coûts de coordination et de communication doivent être minimisés

Pour cette règle, nous avons la chance de disposer aujourd'hui de l'Internet. L'achat de départ (un ordinateur ou au moins une machine connectée à l'Internet) a déjà été réalisé par une part de plus en plus importante de la population.

Les coûts de coordination, de communication et de gestion de projet peuvent être réduits dans des proportions très importantes lorsque les participants disposent d’une connexion Internet et savent s'en servir. De nombreux outils coopératifs sont disponibles gratuitement.

Quatrième règle : Minimiser au maximum les autres coûts indispensables

Suivant la façon dont on organise son projet, de nombreux coûts viendront ou non s'ajouter. S'il est bon de saisir toutes les opportunités d'apport en nature ou en numéraire qui peuvent faciliter l'extension du projet, il faut faire en sorte que le moins de coûts possible soient indispensables dans le budget.

Cela évite de rendre le projet dépendant d'un financement. Cela évite également de retarder le démarrage en attendant l'hypothétique financement.

Rendre tous les financements non critiques et au contraire saisir toutes les opportunités sont des règles de bases des projets coopératifs

Il faut minimiser les besoins de départ d'un projet pour lui laisser plus de chance de se développer.

  • Le porteur de projet doit déjà disposer d'une sécurité matérielle suffisante
  • Il faut réutiliser au maximum ce qui existe par ailleurs pour atteindre la masse critique
  • Les coûts de coordination et de communication doivent être minimisés (grâce à l'Internet)
  • Il faut réduire ou supprimer les autres coûts indispensables et saisir les opportunités.
Livre sur la coopération
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